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témoins : « Ah ! vous me prenez ma terre, vous mettez dans votre grange le blé qui a poussé chez moi ; vous n’en jouirez pas longtemps, je vous enverrai les rouges charpentiers. » Six mois après, le feu est mis à cette grange. On arrête la femme, on l’interroge et sur le fait de l’incendie et sur les menaces qu’elle a proférées. Elle nie tout, mais les témoins sont là qui ont entendu les menaces ; la malheureuse est condamnée au feu ; « ele fut jugié. à ardoir e fut arse. » Par un tel jugement, ajoute Beaumanoir, on peut comprendre combien il y a péril à faire des menaces. L’historien jurisconsulte du XIXe siècle trouve cette moralité du vieux légiste tout à fait incontestable ; ce qui l’est beaucoup moins à son avis, c’est la nécessité d’un lien entre les présomptions qui existaient dans la cause et la culpabilité de l’accusée. Il conclut donc en ces termes : « Un accusé maladroit qui croit devoir tout nier pour ne pas se compromettre, et qui se compromet par là même bien plus encore, ne doit pas être victime de sa sottise. » Rien de plus juste, c’est le bon sens qui dit cela ; je crois pourtant que cette conclusion n’a aucun rapport avec le récit qui précède. M. Du Boys semble croire que la malheureuse eût échappé au supplice, si, niant le fait de l’incendie, elle eût avoué le fait des menaces. C’est contredire tout ce qu’il vient d’exposer lui-même. Par cela seul que l’incendie avait suivi les menaces, l’accusée, d’après la jurisprudence du XIIIe siècle, était nécessairement responsable du crime. C’est précisément par ce motif qu’elle s’obstinait à nier ses paroles ; les avouer, c’était se perdre. Devant un tribunal de nos jours, l’accusée se serait défendue en expliquant ce propos incendiaire par un emportement de fureur ; il y a loin d’un cri de colère à un crime, surtout quand six mois les séparent. Devant la justice dont Beaumanoir a tracé les règles, l’accusée n’avait pas cette ressource ; innocente ou coupable, elle était forcée de mentir pour se sauver.

Dans les petites choses comme dans les grandes, on voit combien chaque progrès du droit pénal est laborieusement acheté. Le système des preuves légales qui, en se modifiant il est vrai, durera jusqu’au XVIIIe siècle a été une réforme utile, même à l’époque où il produisait les conséquences barbares qu’on vient de lire : il substituait en bien des cas les prescriptions inflexibles de la loi à la passion ou au caprice des juges. L’exemple le plus extraordinaire de ces vicissitudes en matière de droit et de procédure pénale, c’est celui de l’inquisition. Le système propre à l’inquisition a commencé à être appliqué dans la première période du XIIIe siècle à l’occasion de la guerre des albigeois. Or l’inquisition, avant cette date, était surtout une procédure, et même, chose difficile à croire, bien que parfaitement authentique, une procédure libérale. Dans