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un temps où le faible était si peu protégé contre le fort, il était presque impossible que l’homme de condition humble, bourgeois ou manant, osât, je ne dis pas accuser de son chef un criminel de haute lignée, mais seulement faire acte de témoin contre lui. Eh bien ! en opposition à la procédure accusatoire du droit féodal, le droit canonique avait institué la procédure secrète. Le juge féodal voulait qu’on vînt à lui tête haute, visière levée, et que l’accusateur fût prêt à soutenir son affirmation en champ-clos ; accusation publique, duel judiciaire, ce sont choses qui vont ensemble dans la société du moyen âge. C’était fier, mais quels privilèges pour les violens ! Quelles assurances d’impunité pour la tyrannie ! L’honneur du droit ecclésiastique est d’avoir songé à la défense des faibles ; voilà comment il a établi la procédure secrète, l’examen des faits criminels, sans que les plaignans se montrent, sans que les témoins se nomment, la recherche opérée librement, à loisir, dans l’ombre, l’enqueste, l’inquisition. Tel est le point de départ. La procédure inquisitoriale était si bien un progrès sur la procédure accusatoire, elle était si bien regardée à l’origine comme une garantie de justice que des maîtres de l’école de Bologne, jaloux de cette innovation hardie, en ont réclamé la gloire pour le droit romain. Roffredus de Bénévent, qui enseigna le droit à Bologne, puis à Arezzo, dans la première moitié du XIIe siècle, a écrit à ce propos de curieuses paroles. « Sachez, dit-il, que la procédure inquisitoriale est usitée pour les crimes dans le droit civil aussi bien que dans le droit canonique. » Et il énumère les cas où cette procédure est employée, il s’attache à prouver qu’elle n’appartient pas en propre au droit ecclésiastique, qu’il faut en chercher le principe dans le droit romain, qu’elle est inscrite dans tels et tels passages du Digeste. il cite ces passages, les commente, puis ajoute avec fierté : « Par ces exemples et d’autres encore que l’écolier studieux saura bien découvrir, je prouverai jusqu’à l’évidence que l’inquisition est tirée du droit civil. Les professeurs de droit canonique nous font injure sans motif quand ils prétendent que l’inquisition est une invention de leur droit. » L’inquisition avait donc été à ses débuts une conquête de l’esprit de réforme ; on sait trop ce qu’elle est devenue en Espagne aux plus sombres jours de l’ancien régime.

C’est une chose intéressante de voir comme les discussions philosophiques de ces derniers temps à propos du droit pénal se retrouvent sous forme concrète dans les expériences laborieuses du genre humain. Il est bien reconnu aujourd’hui que l’idée d’expiation ne doit pas entrer pour la moindre part dans l’idée du droit de punir. C’est pour avoir ignoré ce principe que les anciennes législations ont établi des pénalités dont le souvenir nous révolte. « La