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sans nulle réserve, les autres essayant de l’adoucir, mais tous également favorables au principe même. En Italie, Ange de Gambiglioni, Augustin de Rimini, Hippolyte de Marsigli, Giulio Glaro, Farinace, ont protesté plus d’une fois contre la cruauté des juges qui abusaient de la torture ; tous pourtant en ont reconnu et justifié l’usage. En Hollande, Dambouder professe les mêmes doctrines. En Allemagne, Carpzow, auteur d’un grand traité de droit criminel qui excita l’admiration générale, signale comme un progrès l’ingénieuse invention de tourmens tout nouveaux. La méchanceté des hommes croissant toujours, il fallait, dit-il, que la répression fût mieux armée[1]. Nous pouvons être fiers de notre part dans cette délibération séculaire ; à travers les tâtonnemens et les reculades, c’est chez nous, c’est en France, que les premières protestations ont retenti non pas contre l’abus de cette procédure inhumaine, mais contre l’idée même d’y avoir jamais recours. M. Du Boys signale ici quelques lignes de l’un des Etienne, Robert III, qui, traduisant la Rhétorique d’Aristote et rencontrant au chapitre xv du livre Ier les pages sur la torture, prend tout à coup la parole pour insérer dans son texte même des objections bien plus fortes que celles du Stagirite. Il y a là une erreur qui a déjà été relevée ; le seul mérite de Robert Etienne est d’avoir rétabli un passage supprimé dans l’édition des Aides. Les objections qu’on lui attribue sont d’Aristote lui-même[2]. Cette rectification, que nous devons faire en passant, n’enlève rien à la beauté du noble concert qui ne s’interrompt pas durant une période de deux cents années. C’est Montaigne jetant ce cri énergique ; « Combien ai-je vu de condamnations plus criminelles que crimes ! » C’est Dumoulin, c’est Laroche-Flavin, c’est Pierre Ayrault, lieutenant-criminel au siège présidial d’Angers, qui appellent la réforme du droit pénal. Ce dernier, qui écrit du temps des Valois, ne parle-t-il pas déjà comme un contemporain de Voltaire quand il proteste contre la question et les procédures secrètes ? Sous Louis XIV, un magistrat franc-comtois, Augustin Nicolas, compose une. dissertation dont voici le titre : Si la torture est un moyen sûr à vérifier les crimes secrets, il la dédie au roi lui-même, l’adjurant « d’extirper dans son royaume, par son pouvoir absolu,

  1. « Sœculo enim hoc nostro, crescente lite et malitia, nova creverunt tormentorum genera, in. quibus excogitandis ingeniosi volunt audire, uti sunt laminæ, compedes, nervi, catonæ, carceres, minellæ, pedicæ, aqua frigida, taxilli, cuneus, sibillæ, vigiliæ, Dœnischer Mantel, Spanische Kappen, Englische Jungfrau, Braunschweigische Stiefeln, et centum alia inter quæ poletrum quo carnes scinduntur. »
  2. C’est M. Norbert Bonafous, doyen de la Faculté des lettres d’Aix, qui a élucidé ce point avec beaucoup de précision dans son excellente traduction de la Rhétorique d’Aristote, 1 vol, Paris. 1856. Voyez p. 415, notes du livre premier.