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loi s’imposant toujours au magistrat malgré l’infinie variété des circonstances, il est bon de constituer un pouvoir suprême, désintéressé, ayant le droit de tempérer la peine suivant les cas. L’inflexibilité de la peine légale, en bien des occasions, ne peut-elle pas devenir une chose barbare ? Le législateur aurait compris en même temps que le droit de grâce est un des moyens les plus efficaces pour corriger les affections morales du condamné ; supprimer le droit de grâce, n’est-ce pas enlever aux criminels la perspective de la plus grande récompense promise au repentir ? Ainsi l’assemblée constituante méconnaissait elle-même le principe qu’elle venait de proclamer. Au fond du bagne, au fond de l’abîme, pénétrait encore un rayon qui pouvait aider le misérable à se relever ; la loi de 91 éteignit cette lueur bienfaisante.

Après avoir rappelé une partie de ces faits, M. Albert Du Boys ajoute très noblement : « On peut dire en un certain sens que l’infortuné Louis XVI, privé du droit de grâce, le ressaisit sur l’échafaud. Le pardon qu’il accorda à ses bourreaux fut le dernier et le plus sublime exercice de ce vieux privilège de la royauté. » Est-il nécessaire de rappeler que le XIXe siècle a réparé sur ce point les erreurs et les contradictions du XVIIIe ? Quel que soit le nom du dépositaire de la souveraineté, roi, empereur, président, le droit de grâce, inséparable du droit de punir, est redevenu la prérogative du souverain.

Droit de punir, droit de grâce, amendement du coupable, autant de choses qui se lient et s’enchaînent. Aujourd’hui aucun homme public n’oserait traiter une question de justice pénale sans se préoccuper en même temps des intérêts moraux du condamné. Lisez par exemple le remarquable rapport que M. le vicomte d’Haussonville vient de présenter à l’assemblée nationale au nom de la commission d’enquête sur le régime des établissemens pénitentiaires. L’inspiration dominante de ce travail, c’est le perpétuel souci de l’amendement du criminel. L’auteur l’indique dès la première page, et l’on devine avec quelle joie il constate cette supériorité de notre siècle sur les âges précédens. « Cette noble préoccupation, dit-il, devait renaître au sein de l’assemblée nationale, car, par une coïncidence digne de remarque, l’étude des questions pénitentiaires a toujours marché de front avec le mouvement des idées généreuses et libérales dans notre pays. On peut dire qu’elles ont en même temps rencontré la même faveur ou subi la même éclipse. Sous l’ancien régime, les prisons ne sont considérées que comme des lieux de répression, et, sauf quelques esprits un peu adonnés aux chimères comme Mabillon, nul ne songe à s’inquiéter de l’amendement moral de ceux qu’elles renferment. La révolution de 89