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forcent d’empêcher à tout prix l’établissement d’institutions sérieuses. Ils savent ce qu’ils ont gagné à cette confusion et à cette impuissance des partis ; ils y ont gagné de pouvoir se relever comme s’ils n’étaient pas encore marqués de la condamnation qui les a frappés, qui a rejeté sur l’empire la responsabilité des désastres de la France. Il y a deux ans, ils se montraient à peine, ils n’avouaient ni leurs prétentions ni leurs espérances, ils avaient assez de se défendre. Aujourd’hui ils vont faire leur cour à Chislehurst, ils ont été au ministère, ils sont rentrés dans les mairies et à l’assemblée. Leurs candidats se multiplient, et même quand ils ne réussissent pas, ils ont 45,000 voix dans le département de Seine-et-Oise. Il y a trois mois, ils enlevaient l’élection dans le Calvados, hier ils faisaient nommer M. Delisse-Engrand dans le Pas-de-Calais, M. le duc de Mouchy dans l’Oise.

Les bonapartistes ne sont pas pressés de voir finir un provisoire qui leur profite, ils spéculent sur cette incertitude d’un pays à qui on refuse des institutions, un gouvernement, un régime saisissable, et qui de lassitude, d’impatience, a quelquefois l’air de revenir vers le gouvernement qu’on n’a pas remplacé. Il n’y a rien à grossir. C’est simplement un mirage par lequel il ne faut pas se laisser tromper. De loin, le bonapartisme peut ressembler à un danger à la faveur d’une incertitude qu’il est lui-même intéressé à prolonger ; de près, il n’est rien qu’un fantôme, dès qu’on ne laisse plus une place à convoiter et à prendre. Le moment est donc venu d’arracher l’opinion à toutes ces fluctuations énervantes, de donner au pays la garantie d’institutions permanentes, efficaces, et ce n’est pas avec les bonapartistes qu’on peut songer à organiser sérieusement ces institutions. Les bonapartistes ne sont pas un secours, ils sont l’obstacle. On ne les combattra pas avec le rêve d’une restauration légitimiste impossible ou avec les périlleuses, les redoutables chimères d’une république agitatrice. Le seul moyen de les arrêter, de déjouer leurs propagandes et leurs captations, c’est de fixer la situation du pays, de rallier toutes les forces libérales et conservatrices autour d’un régime placé sous l’invocation de l’intérêt national, de ne point laisser enfin cette porte toujours ouverte à toutes les compétitions, à toutes les prétentions.

Quant aux radicaux, quel rôle jouent-ils ou se préparent-ils à jouer dans toutes ces confusions, dans ces préliminaires de la session décisive qui va s’ouvrir ? Il n’est point douteux qu’ils peuvent avoir un rôle à leur manière. Selon ce qu’ils feront, ils peuvent aider sans le vouloir aux progrès d’une réaction, dont le bonapartisme est peut-être seul en mesure de profiter, ou bien ils peuvent jusqu’à un certain point faciliter l’établissement de ce régime dont l’organisation est le problème du moment. Les radicaux ne peuvent s’y méprendre, ils n’ont qu’à se montrer, à s’agiter, pour compromettre aussitôt la cause qu’ils prétendent servir, et, par une fortune qui n’a rien d’étrange, plus ils paraissent