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histoire de la civilisation germanique. Il déclare qu’il n’a prétendu faire que de la poésie, et il ajoute cette remarque fort juste, que, « pour faire de la poésie avec les hommes du passé, il faut user d’un procédé analogue à celui qu’on emploie pour traduire une langue étrangère. » Le fait est qu’il y a beaucoup de poésie dans ses trois histoires, surtout dans les deux premières ; mais nous y constatons aussi beaucoup d’érudition habilement fondue dans la narration. On peut même dire que la poésie est ici en raison directe de la fidélité historique. Il est certain d’ailleurs qu’il faut autre chose que de l’érudition pour donner du charme à ce genre de composition. Le roman historique à la façon de Walter Scott ne manquait certainement pas de détails archéologiques ; mais c’était du bric-à-brac d’antiquaire plutôt qu’une représentation positive du moyen âge. Les meubles, les vêtemens, les armes, étaient peut-être irréprochables ; les sentimens, les raisonnemens, l’âme en un mot était toute moderne. Sans oublier que là, comme ailleurs, l’idéal est inaccessible, on est en droit d’exiger que le souffle général d’une telle œuvre, non les décors seulement et les accessoires, nous transportent dans le temps où les événemens racontés se passent. Il faut que l’auteur commence par se traduire lui-même dans la langue parlée et pensée à cette époque. C’est en ce sens que nous approuvons cette autre assertion du romancier allemand, que les temps reculés qu’il décrit sont mieux compris du poète que de l’historien. L’érudit et le poète doivent pourtant se prêter un mutuel secours ; autrement ce dernier ferait triste figure, le premier serait très ennuyeux, et, comme la réunion de ces deux qualités est rare, nous la signalons comme faisant le principal mérite des dernières œuvres de M. Freytag.

Sans qu’il puisse être question d’imitation servile, on y sent des réminiscences très habilement utilisées de Tacite, des frères Grimm, des Niebelungen et des chants héroïques de l’ancienne Allemagne. Le langage est archaïque, sans affectation, et la pensée l’est souvent plus encore que le langage. Nous retrouvons bien là la Germanie primitive, embellie, idéalisée, cela ne fait pour nous aucun doute, mais en somme très ressemblante à tout ce que l’on peut conjecturer d’après les données de l’histoire et de la légende. Nous y voyons des types qui se sont dégrossis, adoucis, civilisés, mais qui sont restés foncièrement identiques, et l’auteur a eu le bon goût de laisser entrevoir cette identité plutôt que de la mettre en relief en forçant la note. Sur ce point aussi, le premier des trois romans l’emporte sur les deux autres. Encore sensible dans le second, ce genre de mérite diminue dans le troisième, et il est à craindre qu’en se rapprochant des temps éclairés par la pleine lumière de l’histoire, les romans qui suivront, marqués par moins d’originalité, ne