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finissent par rentrer dans la catégorie des romans historiques ordinaires ; mais nous n’avons pas le droit de l’affirmer d’avance.

Pour l’espèce de trilogie qu’il s’agit ici d’apprécier, notre tâche est pour ainsi dire indiquée d’avance ; il faut la faire connaître en la résumant. Quelques fragmens, littéralement traduits, serviront à donner une idée plus nette de la manière de l’auteur. Nous commencerons donc par Ingo.


II

L’an 357, tandis que Julien gouvernait les Gaules avec le titre de césar, une guerre sanglante éclata entre les troupes de l’empire et le peuple belliqueux des Alemani qui occupaient la rive droite du Rhin depuis Confïnentes (Coblentz) jusqu’aux environs d’Augusta Rauracorum (Augst, canton de Bâle). Les soldats impériaux, commandés par le césar en personne et soutenus par de nombreux auxiliaires, franks, remportèrent sur les Alemani, non loin d’Argentoratum (Strasbourg), une victoire longuement disputée et rejetèrent les envahisseurs dans le Rhin, qu’ils passèrent après eux pour porter la guerre sur leur territoire. Les Alemani n’avaient cédé qu’après une résistance acharnée, et dans leurs rangs on avait remarqué particulièrement une petite troupe de Vandales, venus des bords de l’Oder, sous les ordres de leur jeune prince Ingo, fils du roi Ingbert. Dépossédé par son oncle de la royauté paternelle et réduit à errer depuis lors de lieux en lieux avec les quelques fidèles qui avaient voulu partager son exil, cet Ingo surtout s’était distingué par des prodiges de valeur. Avec ses Vandales, il avait longtemps tenu tête aux charges furieuses des vainqueurs arrivés près du Rhin et lui-même avait enlevé un étendard romain. Blessé, mais ayant échappé comme par miracle aux javelots et aux flèches qui l’avaient poursuivi dans le fleuve, il avait pu se dérober sur l’autre rive aux recherches de l’ennemi, et il avait été soigné par une devineresse ou prophétesse alemane qui lui avait prédit un avenir paisible, prospère, mais obscur, s’il abandonnait le trophée conquis par sa bravoure, tandis que, s’il le gardait, le dragon flamboyant fixé sur l’étendard consumerait un jour son bonheur et son corps. Tel était encore le prestige des armes romaines qu’on attribuait une vertu magique aux enseignes de l’empire. Ingo préféra la gloire à l’obscurité, la prophétesse brûla le tissu sur lequel était cousu le dragon polycéphale aux langues écarlates et lui remit les têtes symboliques soigneusement pliées et renfermées dans une poche en peau de loutre. Ingo, ignorant ce qu’étaient devenus ses Vandales, partit avec son redoutable talisman. Il savait que sa tête avait été mise à prix par le césar. Il se cacha dans les bois pour éviter les bandes