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printemps et écoute si tu entends le chant des cygnes sauvages traversant les airs.

« — Je dissimulerai et je persévérerai, répondit Irmgard d’une voix solennelle ; mais toi, si la tempête gronde sur ta tête, pense que je te plains, que je t’appelle, et, si le doux soleil te sourit, que je pleure à cause de toi. — Elle détacha un ruban de sa tunique et le noua autour du bras d’Ingo. — Ainsi je te lie à moi pour que tu saches que tu es à moi comme moi je suis à toi. — Puis elle se jeta à son cou et le tint pressé contre elle.

« On entendit dans le voisinage comme le cri rauque d’un oiseau de proie. — C’est le garde qui m’avertit qu’il faut nous séparer, dit Ingo. Bénis-moi, Irmgard, pour que mon voyage tourne bien pour toi et pour moi. — Il baissa la tête, Irmgard étendit les bras, remua les doigts et murmura la formule de bénédiction. Le jeune homme la serra encore une fois sur son cœur et disparut dans les sapins. Irmgard se retrouva seule entre bois et rochers ; autour d’elle, la neige tombait en floconnant. »

Ingo et ses Vandales arrivèrent au Kœnigsburg, dont ils admirèrent les murs élevés, les tours crénelées, les fossés profonds et les ponts-levis, innovation récente encore. L’accueil qui leur fut fait dénotait beaucoup d’empressement de la part de la reine Gisèle, peu de bienveillance chez le roi son époux, et un mauvais vouloir très marqué chez les gens du roi. Le fidèle Berthar remarqua toute sorte d’indices qui mirent en éveil sa prudence, et recommanda à son jeune prince d’être sur ses gardes. La précaution n’était pas inutile, car Ingo faillit être tué par une flèche partie on ne savait d’où. Cependant le roi Visino prenait goût à la compagnie d’Ingo, et la reine allait continuellement à la cuisine pour s’assurer qu’on préparait avec soin les viandes destinées à ses hôtes. Dans une partie de chasse, Ingo sauva le roi, qu’un taureau furieux allait éventrer. Aussi le roi se montra-t-il charmant pour lui dans le festin qui suivit la chasse. A table, il fut question des Romains, de leur manière de vivre, des merveilles de leurs cités. Ingo avait été une fois à Trêves. Ce qui l’avait le plus surpris, c’était d’y rencontrer des soldats qui se disaient Romains et qui avaient l’œil bleu et parlaient la langue des Germains. Mais le plus amusant de ces Teutons primitifs quand il développa ses idées sur la civilisation romaine, ce fut sans contredit le vieux Vandale Berthar, et il faut lui laisser la parole.

« — Pour moi, sire roi, dit-il, je ne donne pas grand’chose de la sagesse romaine, que d’autres vantent. J’ai été aussi dans les grands burgs de pierre que les Romains ont bâtis, et principalement quand mon seigneur Ingo m’envoya vers le sud par-delà le Danube à Augustaburg (Augsbourg), où maintenant les Souabes se sont établis.