Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une peuplade saxonne avec laquelle il avait des démêlés. Ingo lui avait été encore une fois d’un grand secours. Il était donc enchanté de son hôte ; mais arriva le Frank Harletto, allié des Romains et chargé par Julien de réclamer la personne d’Ingo, dont l’espionnage avait découvert le refuge. Le Frank apportait de magnifiques présens qui devaient payer l’extradition d’Ingo, et Visino, tenté par la cupidité, avait forte envie de consentir à ce honteux marché. il fallut pour l’en détourner toute l’énergie de Gisèle, et encore ne fut-ce qu’après une lutte formidable où Visino faillit périr que les Vandales, Ingo à leur tête, purent enfin partir pour cette vallée de l’Idis où ils devaient se fixer définitivement. Visino s’aperçut qu’il avait baissé dans l’estime de Gisèle et regretta qu’elle fût par sa naissance d’un rang si élevé. — Autrement, disait-il, je l’eusse volontiers battue pour reconquérir son amour.

Sur le domaine d’Answald, les émigrans faisaient aussi leurs préparatifs, et nous remarquons dans un nouveau chapitre une description très vivement peinte de cet exode qui fait penser à la fièvre d’émigration dont aujourd’hui le paysan allemand est souvent saisi. Les Vandales et les colons émigrés du territoire d’Answald se rejoignirent au pays d’espérance. L’alliance entre les cultivateurs anciens et nouveaux du sol et leurs nouveaux seigneurs fut conclue et scellée par des sacrifices solennels. Le burg d’Ingo s’éleva rapidement sur une colline aux contours escarpés. Un message symbolique d’Irmgard parvint au jeune prince, qui comprit qu’il n’y avait plus de temps à perdre pour arracher sa bien-aimée aux tortures d’un mariage forcé avec Théodulf, et par une nuit d’orage Irmgard, enlevée avec autant d’adresse que de bonheur, quitta la maison paternelle, qu’elle ne devait plus revoir. Le lendemain, elle était la femme de son doux héros.

Deux ans se passent. Irmgard est mère d’un enfant qu’elle berce sur le bouclier de son père. Ingo rêve de nouveaux combats. Le roi Visino vient de mourir en sortant d’un festin, Gisèle règne à sa place comme tutrice de son fils. Un jour qu’Irmgard baignait son enfant, non loin de son burg, dans une claire fontaine tout entourée de mousse, une femme à cheval, richement vêtue, aux traits beaux, mais fiers et sombres, parut tout à coup devant elle, et la jeune mère, en ce moment très peu vêtue, n’eut d’autre ressource que de cacher ses jambes nues dans la mousse et de ramener ses longs cheveux sur sa poitrine. L’inconnue lui parla rudement, comme à une femme méprisable. Ingo arriva à temps pour la protéger, prit sans cérémonie le manteau de la reine (car c’était elle) et le jeta sur les épaules d’Irmgard pour qu’elle pût décemment regagner sa demeure. Gisèle est venue tenter Ingo. Elle lui montre les Burgundes, les Thuringiens, les vassaux d’Answald, les Romains, prêts