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procès s’instruisit par contumace devant la justice comtale, et, s’il évita la peine capitale, ce fut pour être frappé de cette excommunication civile édictée par le vieux droit germain, qui interdisait à tout habitant de lui faire part de son feu et de son pain, et qui autorisait tout passant à lui courir sus et à le tuer comme un animal dangereux. Il était donc désormais plus qu’un paria, un outlaw, avec lequel nul ne devait plus avoir de rapport. Seul son écuyer Wolfram connaissait sa retraite au cœur de la forêt, et celui-ci confia à Walburge, qui s’informait avec angoisse de ce qu’était devenu l’ami de son cœur, qu’il avait ordre pour le lendemain de lui amener en secret deux chevaux. Son intention était d’aller, seul avec son écuyer, attaquer les Sorbes et périr dans un combat désespéré. Walburge frémit de douleur et d’effroi ; elle exigea du fidèle serviteur qu’il la menât près d’Ingraban. Elle se disait que son devoir l’appelait auprès du proscrit, quoi qu’il en pût coûter à sa réputation et à son bien-être ; mais qu’elle eut de peine à faire pénétrer de pareilles idées dans l’esprit de Boniface, sans l’aveu duquel toutefois elle n’eût osé partir ! Il commença par entrer dans une violente colère, il gronda, pria, tâcha de vaincre ce qui lui paraissait une décision insensée. Ce fut parce que l’évêque s’aperçut que la résolution de la jeune fille était inébranlable, bien plutôt que persuadé par ses raisonnemens ingénus, qu’il finit par céder, et ce fut en se disant avec un profond chagrin que Walburge, malgré tous ses mérites, était encore loin du royaume des cieux. Quelle ne fut donc pas sa douloureuse surprise lorsque, le même soir, le pur et doux Gottfried vint le prendre à part, s’agenouiller devant lui et lui faire la confession d’un secret qui lui déchirait l’âme, et que nul autre que son père en Dieu ne devait connaître !

Le lendemain, comme cela était convenu, Wolfram conduisit Walburge au rendez-vous qu’elle avait sollicité. Ici, nous laisserons M. Freytag raconter lui-même cette entrevue, la plus jolie scène de son second roman.

« Wolfram s’était écarté à la prière de Walburge, tout en se réservant de ne pas s’éloigner au point de ne pouvoir lui porter secours en cas de besoin. La jeune fille, à demi voilée, une corbeille à ses pieds, s’était assise contre l’arbre que son conducteur lui avait indiqué. Elle était seule, les mains jointes, regardant vers le ciel qu’elle ne voyait pas, que les branches et les feuilles lui cachaient. Le profond silence de la forêt n’était que rarement troublé par le cri d’un oiseau qui passait au-dessus…

« Tout à coup elle entendit un pas précipité, une voix l’appela par son nom, le proscrit accourait à travers les arbres. Il se jeta à ses pieds sur la mousse et lui prit les mains. — Tu es pourtant venue, lui dit-il, — et l’émotion joyeuse étouffait sa voix, — j’ai secrètement