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si elle n’avise enfin, c’est l’équivoque. L’équivoque est le nuage qui plane sur la politique depuis trois ans, malgré tous les efforts faits par les esprits sincères et résolus pour le dissiper. L’équivoque est partout, à gauche comme à droite. À gauche, c’est l’apparente entente de toutes les fractions d’un même parti, qui, sous le nom de république, confondrait MM. Thiers, Dufaure, Casimir Perier, Jules Favre et Grévy avec MM. Gambetta, Louis Blanc, Ledru-Rollin et Naquet. À droite, l’équivoque est peut-être encore plus choquante : c’est l’union de toutes les fractions d’un soi-disant parti conservateur qui, sous le drapeau de la défense sociale, confondrait MM. de Broglie, d’Audiffret-Pasquier, Decazes, Buffet, de Kerdrel avec MM. de Belcastel, de La Rochette, de Franclieu, Rouher et Gavini. L’équivoque n’est-elle pas devenue le pivot de toute la politique ? On en joue dans tous les partis, sous toutes les formes et pour toutes les causes. Et pourtant ce n’est pas ce que le spectacle des premiers jours devait faire attendre d’une assemblée élue, sous le coup des plus effroyables désastres, pour sauver le pays. Nous n’oublierons jamais la séance où nous avons fait notre entrée au parlement, en pleine bataille des partis extrêmes qui, pareils à des montagnes fumantes, se lançaient les invectives et les défis, à travers les centres, calmes alors et tout entiers aux graves nécessités du présent. Nous en faisons l’aveu, nous avons cru le pays sauvé ; nous avons espéré une majorité de paix et de concorde qui, sous la direction du sage pilote que l’assemblée avait choisi, conduirait le navire au port sans se laisser étourdir par les clameurs des partis, ni intimider par les fureurs des factions. Nous eûmes ce jour-là l’espérance qu’enfin le patriotisme avait calmé pour longtemps, sinon éteint, les passions de parti.

Nous avions compté sans l’équivoque, qui n’a jamais fait qu’entretenir les divisions, encourager les prétentions, préparer les coalitions, au sein de cette honnête, mais incertaine assemblée, sous une fausse apparence d’union. Nous ne disons pas que l’état du pays, que le jeu égoïste des partis ne soit pas pour beaucoup dans cette politique sans lendemain ; nous regrettons seulement que le patriotisme de l’assemblée n’ait pas été assez puissant pour imposer aux partis et aux chefs qui les dirigent tous les sacrifices nécessaires à la réparation et à la réorganisation des forces du pays. On ne peut reprocher à M. de Broglie ce qu’on appelle une politique de bascule, inclinant tantôt à droite, tantôt à gauche, selon la nécessité du moment. Une pareille mobilité ne serait, nous croyons, ni de son goût, ni dans son tempérament. Que les partis lui rendent ou non cette justice, nous avons la conviction, pour notre part, qu’il a, dans sa conduite des derniers temps, obéi à une idée fixe, inflexible, qui a dominé toute sa politique, à savoir la nécessité du