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rétablir, de se rajeunir indéfiniment. A cet égard, les œuvres de l’architecture ont un immense avantage sur celles de la peinture ou de la statuaire ; pour guérir leurs plaies, pour cicatriser leurs blessures, elles n’ont besoin que de soin et d’argent. Avec un sage entretien, un monument peut être éternel ; grâce à la substitution d’une pierre neuve à la pierre usée, il peut se renouveler à la manière des êtres vivans, qui, grâce aux alimens, réparent sans cesse leurs pertes, avec cette différence que dans les édifices cette continuelle réparation n’a point de limite, et que les parties vieillies se peuvent toujours reconstruire. Si une œuvre architecturale vient à périr ou à être mutilée, la faute en est à l’époque qui l’a laissée tomber ou défigurer. Avec un fragment d’un monument, on peut refaire sûrement toutes les parties similaires d’une manière si complète, si parfaite, que rien ne distingue les portions refaites des portions conservées.

Cette faculté de restauration indéfinie est si grande qu’en certains cas elle a pu exciter des scrupules. Pour ne pas tromper les siècles futurs, il est des monumens antiques où, en relevant les parties tombées, on a pris soin de les distinguer des parties anciennes, soit par la qualité de la pierre, soit par l’absence de moulure ou de poli. Ce serait là l’idéal scientifique d’une restauration qui n’aurait d’autre soin que de soutenir et de perpétuer le monument et dédaignerait de faire illusion à l’œil. Cette manière de distinguer les portions refaites de l’œuvre originale est certainement le mode de reconstruction le plus rationnel ; par l’excès même des scrupules et des précautions, ce procédé ne convient qu’à des monumens typiques en ruines ou hors d’usage, aux restes d’une lointaine antiquité, aux débris d’un art dont la plupart des œuvres ont péri ; c’est ainsi qu’il a été employé avec raison à l’Erechthéion de l’Acropole d’Athènes par exemple. Il est à noter qu’une pensée analogue a récemment inspiré certains plans de reconstruction des ruines léguées à Paris par la commune, des Tuileries et de l’Hôtel de Ville en particulier. Dans le premier de ces monumens, on voudrait isoler des constructions postérieures le palais primitif de Philibert Delorme ; dans le second, on voudrait qu’au lieu de chercher à se confondre ; avec l’hôtel de François Ier les parties nouvelles s’en distinguassent nettement et fissent ressortir les anciennes. De semblables tentatives sont en réaction contre le système, suivi jusqu’à présent dans notre siècle, de compléter ou d’agrandir les monumens des époques précédentes en en imitant le style. Au lieu de donner une unité apparente à des œuvres qui n’en sauraient avoir de réelle, on chercherait l’harmonie dans le contraste même des constructions originales et des contemporaines. Ces essais, peut-être périlleux pour l’effet et pour les habitudes de notre œil, nous semblent