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construction hâtive ; la seconde est dans l’esprit, le génie même du style ogival, qui, à force de chercher l’élévation et la légèreté, semble parfois se complaire à défier les lois de la pesanteur. A de mauvais matériaux, à des maçonneries mal établies ou mal soignées, une restauration a toujours le droit et le devoir de remédier. Il en est tout autrement quand il s’agit des formes mêmes de la construction : les modifier, c’est dénaturer l’édifice original. Un style d’architecture comme le style gothique n’est pas tout entier dans les résultats obtenus, il est aussi dans les moyens employés. Les procédés de construction sont une partie intégrale d’un système architectural. À ce point de vue, les arcs-boutans et les contre-forts de nos églises ne sont guère moins à respecter que les voûtes, et modifier les premiers sous prétexte de consolider les secondes, c’est une altération qui ne peut être excusée que par un besoin impérieux. Il est rare qu’on en soit réduit à cette extrémité. Comment admettre en effet qu’avec tous les moyens en notre possession nous ne puissions reproduire dans nos reconstructions des formes auxquelles les architectes du XIIIe siècle ont bien su assurer cinq ou six siècles d’existence ? Qu’importe que ces formes semblent plus ou moins défectueuses, dès qu’elles ont fait leurs preuves de durée ? Prétendre corriger sur ce point les artistes du moyen âge, ce serait en réalité proclamer notre infériorité comme constructeurs. Les architectes diocésains ont à ce sujet une singulière théorie, ils soutiennent que l’on peut se permettre dans une réédification générale des modifications qui seraient périlleuses dans une simple restauration[1] Que deviendraient les monumens historiques avec l’adoption d’une telle maxime ? La correction des formes prétendues défectueuses est un des plus grands dangers de nos églises gothiques, danger d’autant plus grand que, pour les raisons que nous avons indiquées, la plupart sont destinées à être plus ou moins rebâties dans le cours des siècles. En face de cette perspective, il importe de maintenir le principe de la reproduction scrupuleuse des formes originales du monument. Toute reconstruction d’un monument historique ne doit être qu’une restitution ; en dehors de cette règle, il n’y a place qu’à la fantaisie et à l’arbitraire.

La prétention de ramener les églises gothiques à leur état primitif n’est souvent ni moins spécieuse, ni moins dangereuse que celle d’en améliorer la construction. Le plus souvent en effet nous n’avons sur un ancien édifice d’autre document que l’état actuel, et c’est en respectant ce dernier que l’on conserverait le mieux le plan original. Il y a une autre difficulté ; cette prétention de tout

  1. Rapport fait au comité des inspecteurs-généraux des édifices diocésains par M. Viollet-Le-Duc, le 27 janvier 1873.