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lente à se dégager de ses langes ; à cette heure pourtant, les archéologues, les jurisconsultes, surtout les épigraphistes préparent une révolution toute semblable à celle qui s’est accomplie depuis vingt ans environ dans l’étude de l’histoire moderne. Dans ses leçons du Collège de France, M. Léon Renier ne nous a jamais fait connaître son opinion personnelle sur César, sur Auguste ou sur les Antonins ; mais il nous a donné les moyens de nous en former une, grâce aux faits nouveaux qu’il a su tirer de textes inconnus, inexpliqués ou mal compris. Il a fait voir le mécanisme de l’administration romaine et la hiérarchie des services publics. En plaçant sous nos yeux les monumens officiels de Rome, de l’Italie et des provinces, il nous a dévoilé les mystères du culte, les rouages de l’administration, il a fait mouvoir pour nous les ressorts des constitutions municipales, et nous avons compris comment était organisée la société antique, quel était le jeu de ses institutions et le secret de sa vitalité. Il faut se garder de croire que nous ayons pour cela flétri moins que Juvénal la corruption des mœurs romaines, et moins que Tacite déploré les crimes ou les folies des césars, nous avons seulement su comment l’empire s’était établi et pourquoi il avait duré quatre siècles. C’est sans aucun doute de ce côté qu’est la science. On nous enseigne pour la première fois, conformément à la saine méthode philosophique, à faire l’analyse avant la synthèse, à procéder du connu à l’inconnu et à poser les prémisses avant de formuler la conclusion. Empressons-nous d’ajouter que les auteurs classiques eux-mêmes, les chers compagnons de notre laborieuse jeunesse, auxquels nous devons ce généreux enthousiasme dont les bonnes et fortes natures ne veulent jamais guérir, loin de rien perdre aux clartés des sciences nouvelles, y acquièrent une précision qu’ils n’avaient pas toujours eue ; souvent même leurs dernières obscurités se dissipent, et, si les opinions de ces grands esprits de l’antiquité ne forment plus à elles seules l’irrévocable sentence de l’histoire, nous découvrons du moins la cause et souvent l’excuse de leurs erreurs et de leurs faiblesses.

La science nouvelle ne nous apporte pas seulement des documens indépendans des textes classiques et venant s’ajouter aux informations que ceux-ci nous fournissaient déjà ; elle se propose avec raison de les éclairer et d’en rehausser la valeur ou d’en redresser les fautes, car il s’en trouve en grand nombre. Borghesi a pu en corriger avec certitude dans les listes consulaires de Tite-Live ; M. Léon Renier en relève chaque jour dans Spartien, dans Capitolin et dans les autres écrivains de l’Histoire-Auguste ; il rétablit tantôt la lecture du texte altéré par les copistes, tantôt le dire de ces auteurs en contrôlant leurs assertions par d’infaillibles