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Tertullien dit que Pline aurait ôté leurs charges aux chrétiens, a gradu pulsis, ce qui n’est pas dit dans la lettre 97. Nous croyons donc avec M. Aube que Pline a pu et dû en écrire une sur ce sujet, mais une autre que celle qui lui est attribuée, et que dans cette dernière l’innocence et la belle conduite des chrétiens, les procès qu’on leur aurait intentés avant l’an 114, et surtout l’importance des conversions faites en Asie, auront été intentionnellement ou exagérés ou même inventés après coup. Origène, qui écrivait plus de cent ans après et qui a passé sa vie en Orient, déplore que le nombre des chrétiens soit si faible : « ils sont très peu, » dit-il. On sait parfaitement aujourd’hui que les progrès du christianisme ont été en effet fort lents et que les nouveaux adeptes répandus dans l’empire au commencement du n° siècle y formaient une imperceptible minorité.

La fin du règne de Trajan a été employée à la guerre parthique. M. Des Vergers est parvenu, à l’aide des inscriptions et des médailles, à rétablir un peu d’ordre dans la chronologie de ces trois dernières années, de 114 à 117 ; mais quant aux faits de détail, nous n’en pouvons rien dire, les informations nous faisant absolument défaut sur ce point. On sait seulement que l’empereur s’arrêta à Athènes, se rendit en Syrie, gagna, en remontant le cours de l’Euphrate avec son armée, les frontières de l’Arménie, qui fut réduite en province romaine à la mort de Pathamasiris, roi de ce pays ; que les peuples du Caucase et des bords de la Caspienne lui firent leur soumission ; qu’une fois maître de la Mésopotamie, l’empereur s’empara de Nisibe, gagna le Tigre, qu’il descendit sur une flotte improvisée, et entra à Babylone. Les chiffres des salutations impériales qui se lisent sur des monnaies de cette époque et le titre de parthique qui figure sur les monumens de la fin du règne sont les seuls témoignages que nous ayons des victoires et même des campagnes de cet empereur dans ces régions éloignées ; mais la révolte de tous ces pays, dont la soumission avait été trop prompte pour être durable, ferma l’ère des conquêtes de l’empire romain et lui rendit presque ses anciennes limites lorsque la mort surprit à Sélinunte ce personnage qui ne fut certes pas un Alexandre ou un Auguste, ni même un Jules César, mais dont nous pouvons dire, — malgré l’extrême réserve que nous devons nous imposer dans l’état actuel de la science historique, — qu’il fut un organisateur de bon sens et un ami du bien public, titre moins pompeux que celui de grand homme, mais qui donne peut-être aux souverains qui l’ont mérité plus de droit de figurer dans le panthéon de l’humanité et même dans celui de la patrie reconnaissante.


ERNEST DESJARDINS.