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et de la chaussée, ne peut avoir une idée de l’abandon honteux où est laissée la voirie de la « cité impériale. » — « New-York dépense plus que Paris pour l’entretien de ses rues, disait récemment le Herald, elle est cent fois plus mal pavée que Paris. » Que serait-ce si le journal, poursuivant son enquête, eût parlé de ces deux marchés qui font tache dans la grande ville, le marché de la viande (Washington-Market) sur les quais de la rivière du Nord, et celui du poisson (Fulton-Market) sur la rivière de l’Est 1 En été, il y a là deux foyers de pestilence.

Dans cette immense cité, on dirait qu’il n’existe aucun géomètre municipal. Les ruisseaux n’ont aucune pente régulière, les égouts sont insuffisans ; rarement on arrose ou l’on balaie, si ce n’est sur quelques points en vue. Chacun, même devant les maisons les plus aisées, est tenu d’étaler sur le trottoir les rebuts de cuisine dans un tonnelet défoncé qui reste là en permanence. Le milieu de la rue est un cloaque ; il n’est pas rare d’y rencontrer des animaux morts que l’on n’enlève pas. Sur le ventre bouffi d’un cheval tombé de fatigue, on a vu un industriel avisé venir un jour coller ses réclames : les curieux avaient double raison d’accourir. Les pavés, disjoints, déjetés, sont éparpillés çà et là, quand ils ne manquent pas tout à fait. A la moindre pluie, ce sont des flaques d’eau, une boue noire et épaisse où l’on enfonce jusqu’aux genoux. C’est bien pis l’hiver, quand un pied de neige reste souvent plus d’un mois en place. Chacun alors porte double chaussure, l’extérieure en caoutchouc ; là mode a prévu cela. Il faut renoncer à toute description ; il faut avoir été témoin de ces choses. Inutile de prendre une voiture ; outre que le service des coches est des plus coûteux et des plus primitifs, les voitures ont peine à franchir tant d’obstacles, vont au pas, et vous cahotent horriblement. N’essayez pas non plus de l’omnibus, il ne vaut guère mieux ; on en a vu s’arrêter sur place et renoncer à continuer leur chemin. Prenez le car qui court sur le tramway.

Le car, c’est le mode de transport à la fois le plus économique, le plus commode et le plus populaire de New-York. C’est par le car que les négocians et commis descendent le matin en troupes nombreuses, du haut de la ville où ils demeurent, dans le bas, où sont leurs bureaux, et remontent le soir. C’est ici comme à Londres : le bureau est strictement séparé, éloigné du home ou foyer domestique. Pour une modique somme de 5 cents (25 centimes), le car vous transporte sur une longueur de plusieurs kilomètres. Il en est qui partent de la 200e rue et au-delà, des bords de la rivière de Harlem, sillonnant les principales artères. On les voit, on les entend partout. Il est des lignes où ils se succèdent de minute en minute. Ce n’est pas comme à Paris, où l’on ne s’aperçoit guère du service des tramways, installé depuis quelques mois.