Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parmi les précurseurs des deux célèbres maîtres dans lesquels se résume tout le mouvement de la renaissance italienne, qui couronnent cette brillante période et qui la terminent, il n’en est pas de plus grand que Luca Signorelli. Il faut visiter la chapelle du Saint-Sacrement à Orvieto pour mesurer la puissance créatrice de ce génie, auquel la critique n’a pas encore osé assigner sa véritable place. Le peintre du Jugement dernier et celui de la Dispute du Saint-Sacrement n’avaient pas manqué de l’étudier. Il est convenu aujourd’hui de rapporter à Léonard et au Frate l’honneur d’avoir ouvert les yeux à Michel-Ange et à Raphaël ; il n’est cependant pas besoin d’une longue comparaison, — la photographie la rend facile même en dehors de l’Italie, — pour s’apercevoir de la vraie filiation et des influences déterminantes. On peut oser le dire : Michel-Ange, avec son sentiment héroïque de la forme, n’a pas surpassé la rude grandeur des personnages de Signorelli. Il y a dans ces immenses fresques d’Orvieto une inspiration venue à la fois de la terre et du ciel, dont le Buonarotti n’a jamais égalé la variété, ni même dépassé la profondeur. Michel-Ange ne fut jamais du reste un inventeur souple, et la vérité psychologique ne le préoccupe guère. Il répand sur le visage de ses héros, quels qu’ils soient, la même poésie sombre, souvent sublime ; là s’arrête son inspiration. Il dessine avec une hardiesse qui n’appartient qu’à lui la silhouette d’une figure, mais scènes ou figures, tout cela tient du bas-relief ; les lignes réfléchies, harmonieuses, d’un vaste ensemble se dérobent à son regard comme à son imagination. Si grand peintre que se montre le créateur des voûtes de la Sixtine, on s’aperçoit bien qu’il est avant tout un sculpteur dont un pape tyrannique a forcé la main. Dans Signorelli, qu’on ne peut comparer pour la science pratique à son successeur, quel imprévu d’invention qui rachète ce je ne sais quoi d’aigu, d’inachevé, de sauvage, qu’on lui reproche ! voilà le vrai commentateur du Dante ! et comme il s’affranchit de cet esprit de routine et d’imitation qui enchaîne jusqu’aux plus téméraires de ses contemporains ! Où a-t-il encore trouvé le modèle de cette grâce céleste et naturelle à la fois, dont il enveloppe ses anges ? Raphaël ne fera pas mieux dans le premier chant de son poème aux chambres vaticanes, on dirait même qu’il n’a pas craint de lui faire des emprunts pour lui témoigner mieux sa déférence reconnaissante. Sans doute l’Adoration des Mages que nous trouvons au Louvre ne laisse paraître qu’un effet affaibli de la grande manière du maître de Cortone. Telle qu’elle est cependant, noircie et confuse, cette page à cause de sa rareté et du nom qui la signe est encore digne de figurer à côté des œuvres supérieures qui l’avoisinent. — Le tableau de Paolo Uccello est placé bien haut, et l’œil a peine à en comprendre les détails. On sait combien il est difficile de rencontrer