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municipaux : système fort séduisant au premier aspect, et qui répondait parfaitement à une critique adressée à la plupart des ingénieux projets mis en avant. Il donne au corps électoral, par conséquent à la chambre élue, la double autorité du nombre et du vote populaire. C’est une sorte d’élection à deux degrés, plus simple en ce qu’elle dispense le pays d’une série d’opérations électorales en prenant des électeurs tout faits. En y regardant de plus près, la commission a trouvé de graves défauts à ce spécieux système. Le premier, le plus grave de tous peut-être, c’est d’introduire la politique dans les élections locales. On répond mal à l’objection en disant qu’elle y pénètre quand même et fatalement. Parce que les passions politiques tendent à fausser l’institution, est-ce une raison d’en dénaturer légalement le caractère ? Et parce qu’elles se glissent dans la place, faut-il leur en ouvrir les portes ? Dans l’état actuel des choses, la politique envahit les élections qui devraient avoir surtout un caractère administratif, parce que la politique, domine tout, quand une situation provisoire, et dont il faut absolument sortir, laisse en suspens la question capitale de la forme de gouvernement. Nous reconnaissons d’ailleurs que, même à l’état normal, la politique aura toujours sa part dans les préoccupations électorales. Il n’en reste pas moins vrai qu’en des temps calmes, c’est l’intérêt électoral qui domine les élections, et inspire surtout les électeurs ; mais si c’est la loi elle-même qui convertit l’institution municipale en institution politique par le privilège qu’elle confère aux conseils locaux, il est évident que la politique ne sera plus seulement un incident dans la vie municipale, mais qu’elle deviendra le but même et la règle de ce genre d’élections. D’ailleurs ce projet soulève encore bien d’autres objections. D’abord un corps électoral ainsi composé contient des élémens de fort inégale valeur. Tandis que la plupart des conseillers municipaux ne représentent que leur village, les conseillers d’arrondissement et de département représentent leur canton. Nous comprendrions qu’on n’insistât pas sur cette inégalité de représentation devant une certaine égalité d’intelligence et d’instruction. Or ici les élus offriraient-ils beaucoup plus de garanties à cet égard que les électeurs ? Sans vouloir rabaisser les qualités et les vertus privées de nos conseillers ruraux, leur bon sens, leur esprit de famille, la simplicité et la régularité de leurs mœurs, ont-ils généralement la culture d’esprit que suppose l’exercice d’un pareil droit ? Ont-ils ce sens politique qui fait comprendre aux électeurs toute la portée de leur vote ? Enfin, s’il est déjà choquant de voir des conseillers ruraux élire la chambre qui doit représenter la véritable aristocratie du pays, ne l’est-il pas encore bien davantage de les voir voter seuls, à l’exclusion de toutes les catégories de