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du sénat aux États-Unis ; nous répondrons que ce n’est pas connaître les chambres des états que de leur comparer nos conseils de département. Pour se préparer au maniement des affaires du grand état qu’on nomme la république américaine, il n’y a pas de meilleure école que ces chambres d’état qui sont déjà de petits parlemens. Rien de pareil dans nos modestes assemblées de département.

Il est un autre système, simple aussi, moins séduisant, mais plus solide et plus politique à notre sens, et qui, bien qu’il n’émane pas de l’assemblée ou de la commission, mérite le plus sérieux examen, et devrait avoir sa place dans la grande discussion qui s’ouvrira prochainement. C’est le projet déjà exposé ici même[1] par M. G. de Molinari. Dans une étude très impartiale sur l’état actuel de la société française, l’auteur fait sentir avec beaucoup de force la nécessité de tempérer la démocratie, qui est définitivement le gouvernement du pays, quelle qu’en soit d’ailleurs la forme, république ou monarchie. Il montre fort bien que le système des catégories n’est point une base assez large ni assez solide pour asseoir une grande et nécessaire institution, comme la seconde chambre, et il conclut en proposant d’en faire élire les membres par les électeurs censitaires du gouvernement de juillet. Rien de plus simple et de plus sensé selon nous. Le suffrage universel est venu trop vite ; beaucoup de bons esprits, même parmi les républicains, le reconnaissent, et malgré vingt-cinq ans d’exercice plus ou moins normal, il faut une bien forte dose d’optimisme pour affirmer qu’il a fait ses preuves de sagesse et de clairvoyance. Cependant, comme nul ne parle de le supprimer, rien ne serait plus politique, ce semble, que de rétablir l’équilibre entre l’esprit de conservation et l’esprit de révolution ou de rénovation aveugle, en rendant à la classe moyenne, à la bourgeoise, pour l’appeler par son nom, l’influence légitime et nécessaire qu’elle a exercée sur les destinées du pays, et dont l’a brusquement dépossédée la révolution de 1848. Ce semble, disons-nous, car, si la raison politique n’a rien à objecter à une pareille combinaison, l’impossibilité de rien tenter contre le sentiment populaire décourage bien vite les plus sages et les plus fermes esprits. Dans tout pays où le bon sens, non la logique, inspirerait la politique, ce système pourrait être goûté et pratiqué. En Angleterre, en Allemagne, en Belgique, même en Italie, on n’hésiterait point, dans une situation semblable à la nôtre, à accepter un pareil tempérament à l’institution du suffrage universel. On y trouverait tout simple que le nombre ne fût pas compté pour tout, que l’élément conservateur, nous ne disons pas aristocratique, eût sa part

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1873.