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miniature en quelque sorte. Ce n’est pas tout de former un corps représentatif ; il faut qu’il représente dans d’assez larges proportions, sans quoi une pareille représentation est sans valeur, et le pouvoir qui en sort sans autorité. Or, en additionnant toutes les catégories d’électeurs selon le projet de M. de Broglie, à quel chiffre s’en élèvera le nombre dans la plupart des départemens ? à 1,000 ou 1,500, et dans toute la France à moins de 100,000. Est-ce là un corps électoral qui puisse donner à une seconde chambre l’autorité nécessaire en face de la chambre issue du suffrage universel ? Et quand on arriverait à l’augmenter d’un tiers, comme a fait la commission, est-ce dans un corps électoral aussi peu nombreux qu’on trouvera la condition d’autorité que l’on cherche ? Il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas seulement un corps électoral capable de bien choisir qu’il s’agit de former ; c’est un corps électoral qui à cette capacité joigne l’autorité. Or où est l’autorité, pour une société démocratique, sinon dans le nombre ?

Les projets de M. de Broglie et de la commission donnent pour base à leur institution de simples catégories, dans le sens étroit du mot, et non de véritables classes, comme il le faudrait pour l’établir sur les larges et solides assises dont elle aurait besoin. Quelle force aura cette chambre ainsi constituée pour durer, pour résister, pour dominer l’agitation et la lutte des partis contraires ? On se borne, dans ces catégories, à prendre les sommités pour en faire des électeurs. C’est ainsi par exemple que dans la catégorie du barreau et des offices ministériels on ne prend que les bâtonniers et anciens bâtonniers de l’ordre des avocats, des présidens de chambres de notaires et d’avoués, que dans la catégorie de l’enseignement on ne prend que les recteurs d’académie et les professeurs de facultés, que dans l’ordre des cultes on ne prend que l’archevêque, l’évêque, les membres du chapitre et les curés inamovibles, les présidens de consistoires protestans et israélites, que dans la catégorie de l’armée on ne prend que les officiers-généraux. Ce serait parfait, s’il s’agissait des éligibles ; mais cette manière d’écrémer en quelque façon les classes pour y trouver de rares électeurs ne réussit point à constituer un véritable corps électoral. En réalité, quand on le cherche dans chaque département, on n’aperçoit plus qu’une variété de petits groupes, sans masse, ni poids, et il faut bien le dire, ni vie, vraies ombres errantes au milieu de ce monde immense et vivant qu’on nomme le suffrage universel. De riches propriétaires, quelques industriels présidens de chambres de commerce, quelques savans et quelques professeurs, quelques bâtonniers de l’ordre, beaucoup de fonctionnaires de toute espèce relativement au nombre total des électeurs, voilà la maigre représentation