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que M. de Broglie et la commission appellent un corps électoral.

Il faut autre chose pour élever une barrière devant la démocratie. Vous voulez une chambre qui résiste, comme l’a dit M. Thiers, aux entraînemens de la chambre élue par le suffrage universel, rien de mieux, nous le voulons aussi ; mais au corps électoral qui élira la chambre chargée d’une telle mission il faut le nombre, non pas le nombre aveugle, mobile, passionné, d’où sort la chambre démocratique, mais le nombre intelligent, éclairé, réfléchi, d’où doit sortir votre chambre haute, ainsi que vous l’appelez. Haute, tant que vous voudrez, ce n’est pas nous qui lui contesterons cette épithète, si, par ses lumières, sa sagesse, son esprit supérieur de gouvernement, elle s’élève au-dessus des passions, des préjugés, des instincts, des impressions populaires, dont l’autre chambre n’est que trop souvent le fidèle écho ; mais elle aurait beau avoir toutes les vertus et toutes les perfections, il lui faut l’autorité du nombre, parce que, dans une société démocratique telle que la nôtre, c’est cette autorité qui fait la force d’une assemblée politique. Donc, alors même qu’il s’agit de composer le corps d’élite qui devra élire cette chambre haute, il faut tenir compte du nombre. Ce n’est point par catégories qu’il eût fallu procéder, c’est par classes, de façon à comprendre dans ce corps, en masse et sans choix, toutes les professions libérales, toutes les fonctions publiques, toutes les positions sociales qui comportent l’éducation et l’instruction, magistrats, ministres des cultes d’un certain rang, médecins, professeurs, avocats, officiers, industriels, propriétaires, fonctionnaires publics de certains ordres, magistrats municipaux, conseillera de département et d’arrondissement, etc., toutes les classes enfin qui composent ce qu’on peut appeler aujourd’hui en France la grande aristocratie de l’intelligence et de l’influence sociale, la seule avec laquelle la démocratie puisse compter, si elle veut bien compter avec quelque chose. Nous irions aussi loin que possible dans cette voie. Dans les classes qui représentent l’intelligence et l’instruction plus particulièrement, nous comprendrions sans hésitation, non-seulement tous les licenciés, dont le nombre est assez restreint, dans l’ordre des sciences et des lettres tout au moins, mais encore les bacheliers ès-lettres et ès-sciences.

Eh quoi ! nous dira-t-on, même les bacheliers ! Ce n’est pas assez des licenciés ! On reconnaît bien là votre paternelle sollicitude pour ces enfans de l’Université dont vous faites tout à coup de si grands citoyens. — Non pas tout à coup, s’il vous plaît, car nous n’admettons pas qu’un bachelier sans profession ait suffisamment fait ses preuves de sens pratique, de vie sérieuse et laborieuse, pour concourir à un acte d’une telle importance que l’élection d’un