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liberté commerciale, l’afflux de l’or de la Californie et de l’Australie, stimulent la production et multiplient l’épargne. La prospérité générale semble décuplée. Les financiers de cette époque sont assurément des hommes habiles : ils ont de la souplesse et de la fécondité ; mais il leur manque cette rigueur et cette exactitude qui étaient les traits caractéristiques des financiers de la restauration, et qu’on ne trouvait déjà plus au même degré chez ceux du règne de Louis-Philippe. Les ministres, d’ailleurs expérimentés, qui conduisirent les finances sous le second empire, préféraient l’emprunt à l’impôt, en opposition avec la doctrine des hommes d’état de l’Angleterre contemporaine, notamment de M. Gladstone. Ils savaient combien l’impôt est désagréable ; l’emprunt au contraire est généralement bien vu du public : les banquiers, beaucoup de capitalistes, nombre de petits rentiers et de petits propriétaires, se féliciteraient, comme d’une manne céleste, de l’émission d’emprunts annuels, si le paiement des intérêts de ces emprunts ne devait pas exiger des augmentations d’impôts. Or précisément le second empire réalisait ce prodige. C’est une erreur de croire en effet qu’il ait augmenté les impôts pendant sa durée ; on a fait le compte minutieux de tous les remaniemens des taxes indirectes de 1848 à 1865, l’on a constaté que les dégrèvemens montaient à 337 millions, et les aggravations à 328 millions, ce qui laisse pour cette période, comme résultat définitif, une diminution des impôts indirects de 9 millions de francs. Quant à la contribution foncière, on sait qu’elle fut déchargée en 1850 de 17 centimes généraux perçus au nom de l’état. Toute la politique financière du second empire consistait à faire des emprunts qui avaient pour gage, non des impôts nouveaux, mais la plus-value espérée des impôts anciens. Cet imprudent système avait la faveur populaire, et la prospérité du pays était telle qu’il put persister sans catastrophe pendant dix-huit ans. Aussi les emprunts survenaient avec une périodicité presque régulière ; on ne compte pas moins de huit grandes opérations de ce genre pendant ces vingt ans. Les années de paix avaient leurs emprunts comme les années de guerre. Les expéditions militaires, les grands travaux publics, les déficits des budgets, c’est-à-dire cette plaie des finances de l’état comme des finances des particuliers qui s’appelle le coulage, et qui est l’effet d’une prospérité trop grande, voilà quelles furent les trois causes inégales des emprunts.

Si la France avait eu alors à sa tête des financiers comme ceux de la restauration ou comme les financiers anglais d’aujourd’hui, tout en faisant les mêmes entreprises, elle eût augmenté sa dette publique beaucoup moins. La guerre d’Orient coûta à peu près la même somme à la France et à l’Angleterre : 1,750 millions de francs à celle-ci, et environ 1,700 millions à celle-là. Or sait-on comment