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moins accessible à la panique que les classes plus instruites et plus élevées ; plus un marché est grand, plus il est difficile de l’agiter. C’est la diffusion de la rente française dans un million de familles, au lieu de cent mille, comme en 1830, qui est la cause principale de cette solidité relative de nos fonds publics dans la crise de 1870-1871.

Dans les documens qui accompagnent son rapport, M. Magne a donné le détail des ressources avec lesquelles la France a payé ces énormes charges de la guerre, qui se sont élevées à 9 milliards 300 millions. C’est naturellement l’emprunt qui a été la ressource principale ; on y a recouru sous toutes les formes, et il a produit en chiffres ronds 8 milliards 800 millions. Ces emprunts ont été contractés soit par voie d’appel direct aux capitalistes, soit par des traités avec la Banque de France, qui prêtait en réalité, outre sa signature, le crédit du public, soit par une convention avec la compagnie des chemins de fer de l’Est, à laquelle on rachetait une partie de son réseau moyennant un prix payable par annuités à long terme, soit enfin par la négociation de rentes existant dans une caisse publique, celle de la dotation de l’armée.

Nous n’avons pas ici à faire l’historique des divers emprunts : le premier en date, celui du mois d’août 1870, a produit 804,572,000 fr. en rentes 3 pour 100 au cours de 60 francs 60 cent. Le second, qui a été contracté par la délégation de Tours, et qui est connu sous le nom d’emprunt Morgan, a été sévèrement critiqué. Toutefois, jugeant d’après les conditions extérieures, nous pouvons dire que l’emprunt Morgan a été trop sommairement condamné ; nous lui trouvons trois mérites. D’abord il a été émis en obligations amortissables par tirages périodiques, ce qui est certainement la forme la plus perfectionnée du crédit public, celle qui rend le remboursement obligatoire sans écraser l’état sous une charge accablante. Ensuite il a été fait en 6 pour 100 et non pas en 5 pour 100 ; c’était la première fois depuis 1789 que la France s’élevait au-dessus de cette sorte de fétichisme qui lui faisait toujours adopter le fonds 5 pour 100 alors même que le crédit public était très déprécié. Enfin l’emprunt Morgan était stipulé convertible moyennant un avertissement donné six mois à l’avance aux porteurs de titres : c’était là une marque de prévoyance et de bon sens. Le taux de l’intérêt, il est vrai, était élevé. D’après les tableaux de M. Magne, si l’on tient compte des frais, il coûte au trésor 7,42 pour 100 des sommes dont l’état a bénéficié, tandis que l’emprunt de 2 milliards coûte seulement 6,29 pour 100 ; mais il faut reconnaître que la situation de la France était bien plus satisfaisante en juin 1871 qu’en octobre 1870.

Les emprunts à la Banque de France, effet et prix du cours forcé, ont produit 1,530 millions de francs, si l’on fait entrer en ligne de