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Dans l’état des choses, les intérêts de notre dette prélèvent 40 pour 100 de toutes nos ressources budgétaires, l’ensemble des crédits demandés par le gouvernement pour l’exercice 1875 s’élevant à 2 milliards 569 millions. Cette immense somme est absorbée pour les trois quarts par les intérêts de la dette, les dépenses militaires et les frais de recouvrement des impôts ; ces trois chapitres réunis, en comptant les intérêts de nos dettes diverses pour 1 milliard 26 millions, montent à 1,933 millions de francs, et ne laissent par conséquent pour l’ensemble des autres services publics qu’une somme de 636 millions. On voit combien est faible dans un aussi immense budget que celui de la France l’allocation pour les diverses administrations civiles.

En théorie, on a pu soutenir qu’un état n’était pas tenu de rembourser le capital de ses dettes et qu’il ne trouvait même à se libérer aucun avantage réel. Nous savons qu’il y a contre l’amortissement des objections nombreuses et sérieuses. On peut faire remarquer d’abord qu’il vaut mieux réduire les impôts que de les conserver à un taux élevé pour se réserver un excédant qui soit consacré au rachat de la dette publique. C’est la doctrine qu’ont soutenue et appliquée la plupart des financiers de l’Angleterre dans le courant de ce siècle. Il n’a jamais été fait de l’autre côté de la Manche depuis 1829 aucune tentative de longue durée pour diminuer la dette publique. Presque tous les chanceliers de l’échiquier, lord Althorp, lord Monteagle, M. Gladstone et les principaux hommes d’état, sir Robert Peel, lord John Russell, se prononcèrent toujours pour la réduction des taxes plutôt que pour le rachat de la dette. Celle-ci ne fut guère diminuée depuis 1829 que par des conversions successives de fonds portant un intérêt élevé en fonds portant un intérêt plus bas, ou bien encore par l’échange facultatif de rentes consolidées ou perpétuelles en rentes viagères. On peut faire remarquer encore que la seule action du temps, les progrès de la fortune publique, l’afflux de l’or et des métaux précieux qui déprécient la valeur de la monnaie, les inventions mécaniques et diverses autres causes analogues, tendent chaque jour à rendre plus léger le fardeau d’une dette publique, alors même qu’il demeure nominalement le même. Tous ces argumens ont une valeur économique incontestable, mais ils sont combattus par d’autres qui ont une valeur politique et sociale non moins frappante. Un pays situé au centre de l’Europe et ayant une dette de 23 milliards environ en capital, de 1 milliard 26 millions en intérêts, est singulièrement entravé dans sa liberté d’action. Une nation insulaire que ses goûts, si ce n’est ses traditions, habituent à une politique de réserve et que sa situation même soustrait à toutes chances de conflit international, peut ne faire aucun effort pour s’affranchir d’un fardeau qui doit au contraire nous sembler insupportable. Sans