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Dévoré par la fièvre du savoir, il suivait à dix-huit ans des leçons d’anatomie à l’Hôtel-Dieu. Ces études ne lui suffisant pas encore, il se faisait enseigner le droit public par un moine irlandais, confesseur de sa famille. La journée n’étant pas assez longue pour ses travaux, il se levait à trois heures du matin. Quelque multipliées que fussent ses occupations, il cherchait toujours à y ajouter.

Pendant un hiver d’une de ses années d’incubation, deux de ses oncles, l’un venu récemment de Sorbonne, grand théologien, l’autre appartenant aux jésuites, se trouvaient dans la maison paternelle ; on disputait à table avec acharnement sur la grâce, le concile de Trente et l’infaillibilité du pape. Quand le débat s’échauffait, c’était le jeune étudiant de dix-huit ans qui était appelé en arbitrage ; il se faisait répéter les textes et rendait ensuite ses décisions, de vive voix ou par écrit, aussi gravement, dit-il, qu’un synode. Le souffle du siècle traversant toutes ces discussions, il se jeta à corps perdu dans Voltaire, dans Rousseau, dans Diderot, apprenant l’Examen impartial de l’abbé Morellet, et ajoutant à ces lectures celle de Bayle et du Système de la nature. Ces connaissances un peu confuses donnaient cependant du mouvement à son esprit.

Les instances du frère qu’il chérissait le décidèrent à aller dans le monde ; on lui avait donné un maître d’armes et un maître de danse : ainsi préparé, on le présenta à M. l’intendant et à Mme l’intendante. Il eut de bonne heure son premier duel. Rien donc ne lui manquait ; mais durant cette vie mondaine, chaque soir avant de sortir il lisait à sa mère une page de son livre favori, les Sermons de Bourdaloue. C’est ainsi que s’éleva Montlosier. A vingt ans, il était investi de la confiance de toute sa famille, et allait de temps à autre à Paris. Il courait alors les théâtres et recherchait les célébrités ; il rendait visite à Franklin, qui lui donnait envie de passer en Amérique, il voyait d’Alembert, il causait avec Lavoisier, il assistait à l’apothéose de Voltaire le soir de la première représentation d’Irène.

Un moment vint où le jeune mondain voulut vivre dans ses montagnes et y mourir. C’était à la suite des premiers troubles du cœur. Le voilà avec la même opiniâtreté apprenant l’agriculture, tout entier aux soins des prairies, à la culture des terres, à l’administration d’une grande ferme. Il se marie à vingt-cinq ans, pour ne point déranger ses goûts, avec une veuve plus âgée que lui, mais propriétaire d’un domaine voisin. Alors s’écoulèrent plusieurs années dans une solitude presque complète ; c’est durant ces hivers, où les neiges l’emprisonnaient, qu’il réunit tous les matériaux qui servirent plus tard à ses diverses publications. Il composa un Essai sur l’origine des fiefs, livre qu’il fondit dans son autre ouvrage de la