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répondait autrement aux passions indéterminées de l’époque. Pleins d’une confiance inébranlable dans la raison humaine, élevés par la philosophie de leur temps, rentiers, négocians, médecins, avocats, dédaignaient toutes les règles qui n’étaient pas simples et ne juraient que par le Contrat social. Malouet raconte que l’assemblée électorale d’Auvergne fut assez orageuse pour lui donner un véritable regret d’y être venu. Il fut sur le point de donner sa démission quand il vit de petits bourgeois, des praticiens, sans aucune instruction sur les affaires publiques, citant Rousseau, déclamant avec véhémence contre la tyrannie et les abus, proposant chacun une constitution. Un fait a du reste beaucoup frappé ceux qui ont pu observer nos anciennes mœurs provinciales : c’est la quantité de bibliothèques particulières existant à la fin du dernier siècle. Il y avait bien peu de familles aisées qui ne possédassent pas l’Encyclopédie, les œuvres de Voltaire, de Jean-Jacques, de Montesquieu, de Buffon. La bourgeoisie de province était plus éclairée il y a cent ans qu’elle ne l’est aujourd’hui ; il ne lui manquait que la qualité de ceux qui ne sont plus jeunes, l’expérience, dont Joubert dit qu’elle corrompt encore plus qu’elle n’instruit.

Un grand événement venait de donner un appui formidable aux théories démocratiques, nous voulons parler de la fondation de la république des États-Unis. La déclaration de 1776 avait eu un long retentissement. Les articles de Mallet Du Pan ne purent détourner le courant. La constitution anglaise dans son intégrité eut pourtant quelques autres défenseurs. Mounier, lui aussi, avant de siéger à la constituante, avait pensé que l’organisation du parlement d’Angleterre était le meilleur modèle qu’il fût possible de suivre en France. Necker, dans son livre de la Révolution française, déclare qu’admirateur de la constitution anglaise, tout son désir était que les états-généraux voulussent s’en approcher. Avant les élections, Malouet, prévoyant l’avenir, l’avait supplié de tout combiner dans le conseil du roi et de n’ouvrir les états qu’avec une constitution. Prières inutiles ! eût-on triomphé même des irrésolutions de Necker, la cour ne se serait pas prêtée à ses projets.

La correspondance si curieuse de Marie-Thérèse avec Marie-Antoinette ne laisse sur les intrigues et les pièges de ce monde de courtisans, au début du règne, aucune illusion. Leurs fautes, depuis l’avènement de Joseph II, n’avaient fait que s’accumuler. Quoique les ministres et Necker eussent la direction ostensible des affaires, ils n’en avaient pas la direction effective. D’autres conseillers étaient regardés comme plus amis, comme plus dévoués, et offraient la solidarité de pertes communes. L’éducation superficielle qu’avait reçue notre aristocratie ne lui faisait voir dans le gouvernement britannique ni la grandeur de la chambre des lords, ni ce beau rôle