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Le baron de Menou était célèbre par son esprit d’à-propos ; c’est lui qui, lors de l’incident occasionné par l’arrestation à Moret des tantes du roi partant pour l’émigration, monta à la tribune et dit : « En vérité, messieurs, l’Europe sera bien étonnée d’apprendre que l’assemblée nationale s’est occupée pendant quatre heures du départ de deux dames qui aiment mieux entendre la messe à Rome qu’à Paris. » L’assemblée s’était mise à rire et avait passé à l’ordre du jour. Quant à Cazalès, personne ne l’a mieux connu dans ses replis les plus cachés quelle comte de Montlosier. C’est lui qui a mis en pleine lumière tout un côté de la vie publique du grand orateur royaliste. Quand la foule le suivait dans les places et dans les rues, Cazalès, s’arrêtant devant les groupes, se laissait entourer et causait familièrement sur les affaires du temps ; la foule l’écoutait alors avec une grande attention, quelquefois on l’interrogeait, il répondait aussi sérieusement que s’il eût été avec des hommes d’état. Ensuite il les quittait en les saluant jusqu’à terre. Un jour, aux Tuileries, on s’avisa de l’insulter. « Prenez garde, leur dit-il, quand je ne serai plus député, vous ferez de moi ce que vous voudrez, je serai alors, comme tel d’entre vous, un pauvre b… ; mais aujourd’hui, comme député, je suis l’homme de la nation. Je lui dois la protection de mes conseils, elle me doit celle de sa force. Citoyens, vous aimez la liberté, l’assemblée qui est là en donne des leçons ; moi j’en suis un exemple. La preuve que je suis un homme libre, c’est que je ne pense pas comme vous et que j’ose vous le dire. » En prononçant ces paroles, Cazalès relevait de temps en temps sa culotte, qui tombait sur ses genoux. Au-dessus de sa large poitrine toute débraillée, sa figure s’animait, ses yeux étincelaient, toute sa personne était imposante. Ce tableau, que nous empruntons à la plume de Montlosier, ne manque certainement pas de grandeur et de relief.

Ni le baron de Menou, ni le vicomte de Mirabeau, ni même Cazalès, bien qu’il l’eût tutoyé dès le premier moment, ne furent cependant ses amis intimes. Celui qu’il aima le plus dans l’assemblée, celui qu’il aima le plus dans l’exil, celui dont il a écrit en apprenant sa mort : « J’ai perdu la moitié de ma vie, » c’est Malouet. Montlosier avait eu contre son compatriote des préventions défavorables. Malouet, — et c’est son honneur, — avait soutenu avec entraînement le doublement du tiers et le vote par tête ; il avait avec enthousiasme donné son adhésion au serment du Jeu de paume. Montlosier partageait alors toutes les passions de la noblesse, et il avait gardé rancune à Malouet. Il lui trouvait en outre peu de talent à la tribune. Peu à peu cependant il avait mieux vu les choses et jugé plus équitablement les personnes. « J’avais pu, écrit-il, m’apercevoir dans quelques circonstances que derrière la modération