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dernier coup avait donc pu la mettre en branle. Toutes les voix demandaient la restitution du droit qu’ont les hommes vivant en société de n’obéir qu’aux lois qu’ils auraient faites, et de ne payer que les subsides qu’ils auraient consentis. Montlosier reconnaissait donc la nécessité de la révolution. Après en avoir énuméré les bienfaits, il accepte l’égalité proportionnelle des impôts et des charges, l’admission de tous les citoyens aux emplois et aux dignités, la périodicité et la continuité des assemblées délibérantes, la suppression des prisons d’état, des lettres de cachet et de toutes les anciennes traces du régime absolu. Il voit le despotisme renaître derrière l’anarchie et les excès populaires ; il croit que, dans l’intérêt de la liberté, il faut maintenir comme autant de barrières les privilèges des provinces, les prérogatives de la noblesse, l’autorité des parlemens. « L’inconséquence et la frivolité de la nation, dit-il, ne sont pas, comme on le croit, une chose qui lui soit naturelle, qui dépende de son climat ou de quelque autre cause particulière et permanente ; elle provient de l’inconséquence même, de la versatilité de tout ce qui existait, versatilité accompagnée de je ne sais quelle dignité qui faisait qu’on se portait à trouver les choses merveilleuses, parce qu’on n’osait les croire absurdes. Je ne sais quel honneur s’était substitué à la vertu, le bon goût avait usurpé l’empire des mœurs, le bon ton celui de la société, un talent tenait lieu de toutes les qualités ; l’ennui était devenu le premier des maux, le pédantisme le premier des vices. Donnez une bonne constitution à ce peuple, il deviendra fort. Mettez de l’ordre dans son gouvernement, et vous en mettrez dans ses idées. Le peuple français, dit-on, est peu sage, donc il ne lui faut pas de liberté, — et moi, je réponds : Donc il lui faut de la liberté pour qu’il devienne sage. »

C’est ainsi que s’exprimait Montlosier en pleine révolution, — aristocrate et libéral, vrai baron de la grande charte, critiquant les principes qui avaient servi de fondement à la Déclaration des droits de l’homme, mêlant à tout cela ses idées sur l’origine de la noblesse et des possessions féodales, parlant avec respect de l’institution de la religion, mais excluant le clergé de tout rôle politique, insistant sur la division des pouvoirs, et en même temps sur la création d’une chambre haute où siégerait une pairie héréditaire, — écrivain de plus de force que d’élégance, de plus d’originalité que d’élévation, entraînant dans son cours rapide et tourmenté du sable et des cailloux. Necker, à qui il donna son livre, s’y reconnut, et Burke le félicita ; mais Necker et Burke ne connaissaient que la société distinguée de Paris. Montlosier avait trop vécu en agriculteur dans les montagnes d’Auvergne, il n’avait pas été assez hobereau pour juger des haines farouches ; il ne sentait pas encore que