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ordres, de la perfection des parlemens ; il insiste particulièrement sur la futilité et l’inconvenance du système des deux chambres. Il ajoute enfin d’une manière expressive : Et surtout, messieurs, point d’essai ! Il fut facile à Montlosier de deviner l’objet de cette réunion. Il s’agissait de mettre en garde l’émigration contre son système des deux chambres et de critiquer notamment son Essai sur l’art de constituer les peuples. Il en parla le lendemain à M. de Laqueuille, qui se mit à sourire et ne repoussa pas ses conjectures. Un nouvel incident vint les confirmer. Montlosier partait de Bruxelles pour se rendre à Coblentz. Dans les environs d’Aix-la-Chapelle, il rencontra le comte d’Egmont, qui l’invita à s’arrêter chez lui.

Toute conversation roulant alors sur la politique, Montlosier parla de Paris, qu’il avait récemment quitté. Il eut à prononcer le nom de Mounier ; Mme d’Egmont lui lança des regards furieux, et ne ménagea pas les injures. M. d’Egmont riait, mais ne désapprouvait pas trop sa femme. Montlosier se hasarda à répéter un mot du comte de Choiseul d’Aillecourt : « Mounier, qui nous a fait tant de mal, mais à qui nous avons tous pardonné. » Mme d’Egmont paraissant s’irriter davantage, il se leva et sortit. C’étaient autant de pronostics pour sa réception à Coblentz.

Il y était à peine arrivé qu’il alla faire sa cour et reçut une invitation à souper. La maison qu’habitaient les princes était plus que modeste. Pendant le souper, ce qui attira le plus son attention, ce fut Mme de Balbi, en coquetterie avec le chevalier de Puységur. Leur conversation était fort animée, et Montlosier, étant assis près d’eux, put facilement entendre ce joli bavardage qu’on n’entendait qu’à Paris et au XVIIIe siècle. Il était impossible d’être plus abondant en toute sorte de futilités, et de donner à des riens plus d’amabilité et de grâce. Ainsi finissait galamment en exil l’ancienne société. Ce fut toute l’impression que Montlosier emporta de sa première visite à Coblentz. Il y avait été, à dire vrai, peu bienveillamment accueilli et n’avait pas tardé à s’apercevoir, par le vide créé autour de lui, que le nom d’ancien membre de l’assemblée nationale était en horreur parmi les ardens royalistes. Il résuma cette visite en ces mots : « je n’avais rien à dire à qui n’avait rien à écouter. » Il revint alors à Paris ; son absence avait duré deux mois. Son premier soin fut de courir chez ses amis pour s’informer de leurs espérances. Bergasse n’en avait plus. D’Éprémesnil en avait toujours, mais dans l’excès du mal, qui devait, d’après lui, infailliblement ramener les parlemens. Mallet Du Pan et Malouet étaient tristes et fort inquiets.

Montlosier put s’assurer par lui-même de l’état de l’opinion publique à Paris et des rapports de la nouvelle assemblée avec la cour. Les théâtres, les séances de la législative, la lecture des