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fussent tenus de respecter, c’est bien celle que nous impose à tous la situation présente.

Ces conseils d’apaisement ne sont que l’application d’une loi perpétuellement remise à l’ordre du jour pendant tout un siècle et perpétuellement violée. Est-il une seule de nos grandes crises, depuis le commencement du règne de Louis XVI, qui n’ait montré la nécessité d’une politique de conciliation, c’est-à-dire de concessions réciproques, soit qu’il fallût s’entendre comme autrefois pour opérer la transformation pacifique de l’ancien régime, soit qu’il faille se concerter comme aujourd’hui pour préserver la société même des dernières catastrophes ? Assurément c’est demander beaucoup aux passions, aux passions rétrogrades comme aux passions révolutionnaires, de les inviter à sacrifier quelque chose de leurs exigences au devoir même le plus manifeste et aux intérêts les plus pressans. Ne semble-t-il pas cependant qu’après tant de leçons terribles, après tant de cruelles expériences, nous devrions être plus disposés à comprendre que les intransigeans de toute couleur sont les pires ennemis de la France ? On ne l’a compris ni en 1789, ni en 1830, ni en 1848 ; si on se refuse à le comprendre aujourd’hui que la situation générale ajoute aux périls du dedans les périls du dehors, quelles leçons faudra-t-il que nous recevions encore pour revenir au sentiment exact de la réalité ?

On sait ce que répondent les partisans des principes extrêmes : eux seuls possèdent la vérité, eux seuls ont une foi, et quiconque parle de conciliation est atteint de scepticisme. La modération, à leurs yeux, est une défaillance, et l’esprit de concorde une trahison. Le meilleur moyen de les convaincre, pourvu qu’on n’ait pas affaire à un aveuglement de parti-pris, c’est d’appeler en témoignage les hommes de foi qui ont passé leur vie à concilier ce que les âmes étroites déclarent incompatible. Le petit-fils de Malouet obéissait à cette inspiration excellente lorsqu’il publiait récemment la seconde édition des Mémoires de son aïeul, et nous avons pris plaisir à signaler d’après lui ces conseils d’un constituant de 89 à la France d’aujourd’hui. M. de Falloux vient de servir la même cause d’une façon plus expressive encore en retraçant avec émotion la vie de M. Augustin Cochin[1]. Jeté au milieu des grandes discussions de l’assemblée constituante, Malouet a travaillé sans relâche à rallier les forces morales du pays, à prévenir les bouleversemens en préparant les réformes, à faire comprendre aux intraitables que la cause de la monarchie, pour être sauvée, devait être absolument

  1. Augustin Cochin, par le comte de Falloux, de l’Académie française, Paris 1874 ; Didier.