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Dieu et la religion. Ainsi parle le philosophe, et voilà les connaissances qu’il exige de l’instituteur digne de ce titre. L’économiste aura son tour ; l’enfant confié au maître d’école a besoin d’être préparé aux choses utiles, aux choses qui lui feront gagner sa vie ; il faut donc imprimer dans son esprit les principes de toute science sociale, et plaise à Dieu qu’il se rappelle toujours ces paroles de Franklin : « si quelqu’un vient vous dire qu’il est d’autres moyens pour faire fortune que le travail et l’économie, chassez-le, c’est un empoisonneur ! » Travail, économie, c’est précisément ce que le christianisme enseigne, puisqu’il condamne la paresse et prescrit la tempérance. Loin de nuire à la production de la richesse, le christianisme y contribue, et ses préceptes, qui visent plus haut, sont d’accord avec les résultats de la science économique. Le théologien le plus exact ne s’exprimera pas ici autrement que le bonhomme Richard. Voilà comment M. Cochin, soit qu’il parle en philosophe, soit qu’il parle en économiste, est toujours ramené à la religion de Jésus-Christ. C’est elle qui est le fondement de l’éducation, elle forme le lien de toutes les parties du système et assure l’harmonie de l’ensemble.

Ce beau livre sur Pestalozzi et l’éducation du peuple parut en 1848. L’explosion des idées socialistes qui couvaient déjà sous le règne de Louis-Philippe ne prit pas M. Cochin au dépourvu. M. Cochin était socialiste à sa manière, c’est-à-dire à la manière de l’Évangile ; il n’était pas de ces esprits fermés qui croient que tout est pour le mieux dans l’ordre une fois établi, et que la moindre innovation est un péril. Il était persuadé au contraire que pour faire régner la justice parmi les hommes il fallait une vigilance perpétuelle et des améliorations continues. Seulement à l’ardeur de réformes la plus généreuse il joignait les scrupules les plus attentifs. On peut dire qu’à l’heure où Proudhon étonnait le public par ses incartades, il y avait dans l’ombre un socialiste chrétien qui lui donnait, sans y prétendre et le plus modestement du monde, de vigoureuses répliques. Proudhon a raconté que, pendant les journées de juin, il flânait volontiers sur les quais déserts, admirant de loin les sublimes horreurs de la canonnade. M. Cochin ne flânait pas et admirait encore moins ; il faisait son devoir, il défendait l’ordre, il voyait ses amis tomber à ses côtés, et, la lutte finie, il se trouvait naturellement désigné pour un poste d’adjoint dans une des mairies de Paris. On cherchait les citoyens qui eussent à cœur et qui fussent en mesure d’apaiser les passions ; on pensa tout d’abord à ce jeune homme, déjà maître dans la science du perfectionnement social, et dont la renommée naissante signifiait la recherche obstinée du juste, la pratique bienfaisante du vrai.