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il juge. On a dit que dans certains pays l’esclavage était un mal nécessaire, on a essayé de le justifier au nom de l’économie politique ; M. Cochin s’attache à montrer que l’histoire inflige à tous les argumens de ce genre d’éclatans démentis. Il n’y a pas là de nécessités fatales qu’on soit forcé de subir et qui défient les principes ; l’esclavage est condamné par l’économie politique aussi énergiquement que par la philosophie et la religion. Voilà la thèse du livre. La démonstration, aussi franche que hardie, porte ses coups au point central de la défense. Si les partisans de l’esclavage se retranchent derrière la nécessité, c’est par un sentiment de pudeur ; au fond, il n’y a en jeu que leurs intérêts. C’est à ces intérêts que s’attaque la pressante argumentation de M. Cochin. Vous croyez que l’esclavage est une source de richesses ? Rien de plus faux, c’est une cause de ruine. Vous croyez qu’il est nécessaire à la culture ? Regardez-y de plus près, vous verrez qu’il en accroît les difficultés. Partout où l’esclavage s’implante, « il diminue la population, restreint le commerce, tue les noirs, corrompt les blancs, et, pernicieux aux deux races, fait peser sur toutes les deux un joug également funeste. » Ce ne sont pas là des théories préconçues, c’est la leçon qui résulte des faits. Dans les colonies où l’esclavage a été supprimé, l’auteur compare l’état qui a suivi l’abolition à celui qui l’a précédée ; il n’en est pas une où l’abolition de l’esclavage n’ait été le point de départ d’une vie nouvelle. Au travail libre correspond infailliblement une plus-value de la terre. Les colonies de toute race, françaises, anglaises, portugaises, suédoises, danoises, ont fourni la vérification de cette loi. Aux États-Unis, où l’esclavage avait jeté de si profondes racines, il a fallu un tel effort pour extirper le fléau que les effets de la guerre civile n’ont pas encore disparu ; l’apaisement viendra, et là, comme ailleurs, des élémens de prospérité se substitueront aux causes de décadence. Un seul pays a semblé démentir le système de M. Cochin : il y a une île des Grandes-Antilles où l’esclavage est maintenu avec cynisme, et qui récemment encore étonnait le monde par le scandale de sa prospérité. Est-il besoin de nommer Cuba ? Il est vrai que cette prospérité tient à un climat incomparable, à la richesse prodigieuse du sol, à une situation qui fait de l’île merveilleuse l’entrepôt des deux Amériques ; mais ne vous arrêtez pas à la surface, allez -au fond des choses, que voyez-vous ? L’affreuse gangrène engendrée par l’esclavage, des révoltes périodiques, le gouvernement transformé en dictature, la dépravation des mœurs dépassant tout ce qu’on peut imaginer, l’idée de famille détruite, la magistrature vénale, le clergé avili, souillé, méprisé, enfin la race noire disparaissant de jour en jour, et cette dépopulation arrivée à un point qui frapperait les âmes d’horreur,