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sage d’apprendre d’avance tout ce que la science peut nous enseigner en ces matières ; le tort, c’est d’apprendre la politique dans les livres de parti ou dans les journaux quotidiens, au lieu de l’étudier comme une science, en dehors et au-dessus des partis[1].

Après avoir montré la nécessité d’une science sociale, M. H. Spencer établit l’existence d’une telle science, et il la prouve, selon nous, par de très bonnes raisons. Il combat la doctrine théologique, qui fait intervenir indiscrètement la Providence dans les événemens historiques, et une autre théorie non moins exagérée, celle des grands hommes. Il prouve que, de l’aveu même de ceux qui la combattent, il y a une science sociale, puisqu’on fait des lois pour l’avenir, ce qui suppose évidemment que les actions humaines sont soumises à quelques règles, et qu’on peut les prévoir dans une certaine mesure. « Autrement, dit l’auteur, un gouvernement et une législation seraient choses absurdes. On pourrait, si l’on voulait, faire dépendre les actes du parlement d’un tirage au sort, ou les jouer à pile ou face, ou, mieux encore, s’en passer. Les conséquences sociales ne se déroulant pas dans un ordre assignable, on ne saurait compter d’avance sur aucun effet, tout serait dans le chaos. » — Si au contraire on fait des lois, c’est qu’on reconnaît par là même une certaine causalité naturelle, de certaines liaisons constatées entre les causes et les effets. C’est d’ailleurs se faire de la science une idée trop étroite que d’exiger dans toutes les matières le même degré de précision. Ce n’est qu’en mécanique et en physique, c’est-à-dire dans les sciences de la matière inorganique, que l’on peut établir des lois quantitatives. Dans les sciences biologiques, les lois ne sont que qualitatives : la prévision y est donc moins rigoureuse. Même en météorologie, les prévisions ne sont qu’approximatives ; mais partout où il y a prévision à quelque degré, il y a science. Lors même que dans les relations sociales il n’y aurait pas de lois plus rigoureuses qu’en météorologie, elles suffiraient encore pour être la matière d’une science.

Nous approuvons fort ces considérations, et nous les avons nous-même plus d’une fois opposées à la conception étroite des positivistes, qui refusent le caractère de science à la philosophie et aux sciences morales. Cependant, si les vues de M. H. Spencer sont

  1. Tel est le but d’une institution libre, récemment fondée en France, sous la direction de M. Em. Boutmy, l’École des sciences politiques, — institution qui a précisément pour objet d’étudier les faits politiques à un point de vue absolument désintéressé et en dehors de tout esprit de parti : les finances, le droit des gens, la diplomatie, la législation comparée, l’histoire des institutions, tels sont les objets dont se compose la science politique, et dont l’enseignement, à la fois théorique et technique, est donné par l’école dont nous parlons.