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sont assez riches pour fonder des universités, pour les doter, et ils pourront ainsi faire pénétrer partout leur esprit, menaçant dans ses principes, dans son essence la société moderne ! Évidemment la liberté est pour tout le monde, elle peut profiter aux catholiques comme aux autres. Cette école des sciences morales et politiques, sorte de faculté libre, qui s’est établie récemment à Paris, n’a rien de catholique, et elle vit utilement. C’est une période de concurrence qui s’ouvre et dont il faut accepter les conditions laborieuses en même temps que les vivifiantes émulations. Est-ce à dire qu’en cessant d’avoir le monopole l’état doive rester désarmé, qu’il puisse assister impassible à ces dangereuses propagandes, à ces divisions sociales, à ces captations religieuses qu’entrevoit M. Challemel-Lacour avec les yeux d’un radical qui revendique le monopole pour ses propres idées ? Nullement, et c’est ici que cette liberté qu’on réclame a son correctif nécessaire. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas admettre que les universités libres puissent jeter dans la société des médecins, des avocats, des hommes d’un certain ordre de professions. De toute façon, l’état doit rester en possession du droit de surveiller l’enseignement, de conférer des grades qui sont toujours un titre aux yeux du public. Que cette collation des grades s’opère par un jury mixte ou par toute autre combinaison, elle ne peut être laissée à l’aventure. Elle reste ce qu’on appelait autrefois un droit régalien, le privilège de l’état, qui peut sans doute accorder une certaine liberté, en s’occupant lui-même de renouveler, de fortifier l’enseignement distribué en son nom, mais qui, en aucun cas, ne peut se désintéresser de telles questions. L’état ne peut pas plus se dessaisir de ce droit de collation des grades que du droit de surveillance, non parce qu’il est le propagateur ou le professeur de telle ou telle doctrine, mais parce qu’il est l’état, c’est-à-dire la représentation vivante, permanente, traditionnelle, laïque, de ce qui est indépendant de toutes les écoles, — de l’intérêt social et national, sous la république comme sous la monarchie.

Le président des États-Unis vient d’adresser son message annuel au congres de Washington. Est-ce l’effet d’une politique réfléchie ? est-ce tout simplement un calcul pour favoriser d’avance une nouvelle candidature présidentielle du général Grant ? Toujours est-il que le message est un peu brusque à l’égard de l’Espagne et qu’il réveille tout à coup d’une façon assez désagréable la vieille affaire de ce navire, le Virginius, maltraité l’an dernier par les autorités de La Havane. Ce n’est pas fait pour aider l’Espagne dans la guerre qu’elle soutient avec autant d’acharnement que d’impuissance contre les insurgés cubains, en même temps qu’elle s’épuise à batailler contre les carlistes de la Navarre et de la Catalogne. Si les paroles du général Grant n’avaient pas uniquement pour objet de regagner une popularité compromise en fouettant l’orgueil