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américain, si elles cachaient l’arrière-pensée de mettre la main dans les affaires de Cuba, elles ne laisseraient pas d’être inquiétantes. En réalité, c’est sans doute un moyen de flatter le sentiment national et tout au plus de rappeler à l’Espagne qu’elle ne s’en tirera pas sans payer une indemnité pour les mésaventures du Virginius. Pour le moment, les États-Unis sont beaucoup plus occupés du résultat des derniers scrutins, de cette victoire inattendue des démocrates, qui va changer sensiblement les rapports des partis dans le congrès, qui peut être le point de départ de combinaisons nouvelles pour la prochaine élection présidentielle. Ces questions peuvent être agitées avec passion, même avec violence, dans la grande république ; elles sont sans péril, elles ne risquent jamais d’aller jusqu’à des menaces sérieuses de révolution, comme dans l’Amérique du Sud, comme dans ces contrées de la Plata, où un nouveau président, à son entrée au pouvoir, vient de se trouver en face d’une insurrection à main armée.

Cette république argentine, qui en est là aujourd’hui, a eu autrefois une sorte de rôle dans la politique européenne par le caractère de ses guerres civiles, par les interventions inextricables de la France et de l’Angleterre, par les conflits incessans qui naissaient d’un état toujours troublé, toujours menaçant pour les intérêts étrangers. C’était le temps où se succédaient les dictatures de Rosas, d’Urquiza, les insurrections, les scissions violentes entre Buenos-Ayres, aspirant à la suprématie sur les provinces, et les provinces se défendant contre la suprématie de Buenos-Ayres. La république argentine avait pourtant fini par se dégager de ce chaos sanglant, car s’organiser, et depuis dix ans, si elle n’a point laissé d’avoir de grosses affaires, comme cette guerre qu’elle a si longtemps poursuivie en commun avec le Brésil contre le Paraguay, elle a vécu du moins dans une paix intérieure à peu près permanente.

Ces dix années qui se sont passées d’abord sous la présidence du général Bartholome Mitre, puis sous la présidence de M. Domingo Sarmiento, ont été pour ces contrées une période de développement et de prospérité extraordinaires. Le calme intérieur, ou, si l’on veut, l’absence de révolutions y a contribué d’abord sans doute, et il n’est pas jusqu’à cette guerre entreprise de concert avec le Brésil contre le Paraguay qui n’ait été à sa manière un stimulant ou une circonstance favorable au pays. La guerre en effet amenait à Buenos-Ayres, devenue l’entrepôt de l’armée brésilienne, l’or de l’empire, multipliant ainsi dans la ville et dans la province les élémens de richesse. Le fait est que pendant ces dix années l’activité des intérêts a été immense. Le mouvement commencé sous le général Mitre n’a fait que s’accélérer sous M. Sarmiento, homme d’esprit et de savoir dont nous parlions ici il y a près de trente ans, et qui était élu président de la république argentine en 1868, au moment où il était loin de son pays, qu’il représentait à Washington.