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M. Sarmiento a eu la bonne fortune de n’être point étranger à cet essor, de voir sous sa présidence les recettes de l’état s’accroître sensiblement, les revenus des douanes passer de 12 millions de piastres à 20 millions, le commerce s’élever à 500 millions de francs, la richesse pastorale se développer, les immigrations étrangères affluer. Les moyens réguliers de communications avec l’Europe se sont multipliés ; des fils télégraphiques ont été établis. Le chiffre des machines employées à l’industrie était de 5,000, et il est monté à plus de 50,000. Il y avait autrefois une cinquantaine d’écoles, il y en a plus de 1,100. Des bibliothèques ont été créées. La ville de Buenos-Ayres a pris une importance considérable. On pouvait croire que ce mouvement de richesse, où les étrangers ont une grande part, mais dont le pays profite, était désormais une garantie contre des révolutions nouvelles. C’était vrai peut-être jusqu’à un certain point, ce sera vrai avec les années ; seulement dans ces malheureux pays sans lien, sans cohésion et si longtemps dévorés par l’anarchie tout conduit aux agitations.

L’organisation fédérative de la république argentine, calquée sur celle des États-Unis, bonne pour les Américains du nord, est ici tout ce qu’il y a de plus favorable au conflit des passions incandescentes, à des crises perpétuelles. Assemblées de la nation, assemblées provinciales, se renouvellent par tiers chaque année. Les quatre provinces ont à nommer tous les trois ans un gouverneur. Le président de la république est élu pour six ans, mais l’élection est si compliquée, elle se dégage d’une telle série de scrutins qu’elle remplit une année, entière. D’un autre côté, sous une paix apparente, le vieil antagonisme entre Buenos-Ayres et l’esprit provincial est loin d’être éteint, il survit à travers tout, de sorte que c’est une mêlée de passions, d’ambitions, de rivalités locales ou personnelles toujours en éveil, éclatant à tout propos ; c’est précisément l’histoire de cette tentative insurrectionnelle qui vient de se produire à l’occasion du remplacement de M. Sarmiento, dont les pouvoirs expiraient le 12 octobre dernier.

Il y avait trois candidats en présence. Le plus connu était le général Mitre, qui, depuis vingt ans, comme soldat et comme publiciste, a joué un des principaux rôles dans les affaires du pays et qui a été le premier président régulier de l’union argentine reconstituée à la suite des agitations sanglantes du temps de Rosas et d’Urquiza. Mitre avait pour lui une circonstance particulière. La guerre du Paraguay a laissé entre la république argentine et le Brésil des mésintelligences qui depuis un an surtout ont menacé de dégénérer en rupture ouverte. Le général Mitre pouvait passer pour l’homme le plus apte à diriger la guerre, si elle devenait inévitable, ou à la détourner par ses anciennes relations avec les principaux personnages du Brésil, avec l’empereur dom Pedro il lui-même. Le second candidat était M. Adolfo Alsina, fils d’un ancien gouverneur de