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accessible à tous comme une denrée que l’on peut se procurer à volonté !

La quantité de papier qui se fabrique chaque année dans le monde entier est de près de 1 milliard de kilogrammes ; l’Angleterre, la France, l’Allemagne, en consomment chacune environ 170 millions de kilos par an, dont les deux tiers servent à l’impression des livres et des journaux. Le chiffon a cessé depuis longtemps de suffire à cette fabrication ; il y a plus d’un siècle qu’on lui cherche des succédanés. Au British-Museum, à Londres, on montre aux visiteurs un livre en langue hollandaise, publié en 1772, qui est imprimé sur soixante-douze espèces de papier provenant d’autant de matières différentes. La paille, le bois, le sparte, le colza, sont les succédanés les plus employés, et l’importance de ces matières augmente de jour en jour, en raison directe de la rareté et de la cherté croissante du chiffon. Presque tous nos journaux en France sont imprimés sur du papier de paille et de bois, dans la pâte duquel entre encore une forte proportion de substances minérales : cette charge, qui se retrouve dans les cendres laissées par le papier lorsqu’on le brûle, atteint de 12 à 25 pour 100 de la pâte ; elle rend le papier flasque et friable, et elle use rapidement les caractères d’imprimerie. Le beau papier des journaux, anglais se fabrique avec le sparte d’Espagne et l’alfa d’Algérie, dont l’Angleterre a le monopole presque absolu. Parmi les nombreuses substances qui se recommandent encore pour le même usage, la plus intéressante est sans contredit l’écorce du mûrier à papier, que les Japonais emploient depuis un temps immémorial à la fabrication de leurs papiers à surface soyeuse, à fibres si bien feutrées, et si solides que l’on s’en sert pour confectionner des vêtemens imperméables, des parapluies, des chapeaux, des chaussures. Pourvoi ne leur emprunterions-nous pas cette industrie, comme ils nous en empruntent dès à présent tant d’autres, pour ne parler que des nouveaux procédés qui ont révolutionné la teinture depuis la découverte des couleurs d’aniline ? La substitution du charbon minéral aux anciennes sources des principes colorans a pour ainsi dire renversé les relations commerciales de l’Europe avec les pays producteurs des matières tinctoriales usitées depuis des siècles ; c’est l’Occident qui désormais approvisionnera de couleurs l’Orient et tous les pays d’outre-mer. Le fabricant européen envoie à la Chine et au Japon des couleurs qui remplacent le quercitron et le carthame, que l’on tirait de ces pays, avec des bleus, des rouges et des violets d’une splendeur inconnue jusqu’alors, et, comme les procédés d’application diffèrent des anciens, il envoie en même temps de l’alcool concentré, de l’acide sulfurique, et des ouvriers pour refaire l’éducation du teinturier hindou, japonais ou chinois. La vivacité des couleurs qu’offraient les étoffes de provenance orientale était tenue pour inimitable, elle est aujourd’hui surpassée, et c’est comme un renouveau d’éclat et de splendeur dans la fabrication des tissus.