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C’est là sans doute un réquisitoire piquant, mais où il nous semble que les couleurs sont bien chargées. Il faudrait entendre l’autre partie. L’auteur tombe peut-être ici dans l’écueil qu’il signale souvent lui-même, d’oublier l’imperfection naturelle des choses humaines. De ce que l’administration n’est pas infaillible, faut-il en conclure qu’elle ne soit bonne à rien ? Pour nous dégoûter du socialisme, est-il nécessaire de nous inspirer le mépris des pouvoirs publics ? Beaucoup des objections de l’auteur peuvent très bien ne s’appliquer qu’à l’Angleterre et prouver justement que l’administration y est routinière et gothique, et qu’elle a besoin d’être réformée. La complication extrême des lois est un mal propre à l’Angleterre. Depuis que nos lois françaises ont été codifiées, cette simplification, jointe à l’autorité suprême de la cour de cassation, a beaucoup diminué le nombre des procès, au point que l’on pense à supprimer un certain nombre de cours et de tribunaux. Voilà donc un cas où l’action législative et gouvernementale a été bienfaisante et a produit des effets utiles. Nous ne savons pas au juste dans quel état sont nos archives nationales ; mais nous croyons ne pas nous tromper en disant qu’elles ne sont pas dans l’état où M. Spencer nous décrit les archives anglaises[1]. Lui-même d’ailleurs ne cite à ce sujet qu’une enquête de 1836, et il oublie de nous dire si les choses sont encore aujourd’hui dans le même état, ce qui serait la vraie question, car, si le mal a été réformé, l’administration n’est donc pas incorrigible. Le fait qu’il faut beaucoup de temps pour corriger un abus administratif est très vrai. Nous en avons actuellement en France un exemple frappant que M. Spencer peut ajouter à ceux qu’il cite. On sait que le département des affaires étrangères ne permet de consulter ses archives que jusqu’à la fin du XVIIe siècle ; le XVIIIe siècle a été jusqu’ici entièrement fermé à la science, ou n’a été ouvert qu’exceptionnellement et par faveur, principalement aux étrangers[2]. Il est cependant évident qu’il ne peut y avoir qu’un très faible intérêt, politique ou diplomatique, qui puisse faire celer des pièces qui ont plus d’un siècle de date. Il est clair que c’est l’inertie administrative qui est la principale cause de cet abus. Cependant on commence à faire des efforts pour le corriger ; une commission a été nommée à cet effet, qui obtiendra

  1. Voici quel était en 1836, d’après une enquête parlementaire, l’état des archives anglaises : « 4,136 pieds cubes d’archives nationales, dans un état complet d’abandon, étaient entassés sous ces hangars… Les papiers étaient tous pénétrés d’humidité ; certains documens adhéraient aux murailles sans qu’on pût les en détacher. Beaucoup étaient absolument pourris… On a trouvé six ou sept squelettes de rats incrustés dans le papier, et partout il y avait des os de ces animaux. »
  2. C’est ainsi que le Prussien M. de Sybel a obtenu de consulter nos archives pour y puiser, autant qu’il a voulu, des armes contre nous.