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être chargé de ce travail difficile ? A cet égard, Martius cesse bientôt d’être en peine, il a remarqué l’étudiant étranger, avide de s’instruire, il a deviné sa capacité ; Louis Agassiz, pense-t-il, décrira les poissons. Agassiz en effet n’a pas reculé devant cette tâche et s’en est acquitté avec bonheur. Il a vingt-deux ans ; le voilà possédant des notions scientifiques sérieuses sur une immense classe d’animaux qui défie encore aujourd’hui la patience des investigateurs. Le début est beau, il saura le mettre à profit pour un grand dessein. Engagé dans une voie féconde et déjà considéré pour son premier ouvrage, le jeune naturaliste ne rencontre que des encouragemens. Il se rend à Vienne avec l’intention d’étudier les poissons du Danube et de ses tributaires ; les conservateurs du musée lui font accueil, un éditeur se charge des frais qu’impose le concours d’un artiste pour la représentation des sujets. Agassiz observait avec délices les espèces vivantes ; mais, se complaisant dans cette observation, il se préoccupait par-dessus tout d’éclairer bientôt l’histoire des espèces éteintes.

Le projet était séduisant. George Cuvier avait révélé de grandes choses en créant une science nouvelle. Sous la main du naturaliste, un monde disparu avait retrouvé une sorte de vie ; des animaux étranges semblaient ressuscites pour apprendre aux hommes que pendant le cours des âges bien des changemens s’étaient opérés à la surface du globe. Cuvier avait donné la meilleure part de son activité aux recherches sur les mammifères et sur les reptiles des périodes géologiques ; pour les poissons éteints, on attendait encore un scrutateur habile. Agassiz pense à ces êtres dont les débris se rencontrent dans tous les terrains de sédiment depuis les plus anciens jusqu’aux plus récens, à ces restes dont on peut tirer des indices certains des changemens survenus dans les vastes mers qui autrefois couvraient la terre ; il sera l’historien des poissons fossiles. Déjà il s’est occupé des espèces de la période tertiaire, particulièrement des pièces exhumées en abondance au Monte-Bolca ; mais bientôt, c’est lui qui nous l’apprend, il s’aperçoit que seulement « avec le secours de tous les squelettes que M. Cuvier a réunis à Paris dans les galeries d’anatomie comparée il pourra parvenir à donner à ses observations la précision et le degré de certitude qu’exigent de telles recherches. » Agassiz s’installe à Paris en 1831 ; Cuvier le reçoit avec de grandes marques de bienveillance et de sympathie, il l’encourage, et met à sa disposition tous les objets qu’il a fait préparer pour ses propres études. Alexandre de Humboldt, l’hôte de la France à cette époque, connaissait l’étudiant de Munich : le revoyant investigateur ardent et plein de sagacité, il lui témoigne un vif intérêt ; il restera toujours son protecteur, son