Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expriment-ils bien leurs idées ? Ont-ils un penchant à les atténuer par une tactique de prudence ou à les exagérer par un désir d’intimidation ? Voilà encore ce qu’il est difficile de savoir. Aussi sommes-nous heureux toutes les fois qu’il nous arrive d’avoir sous la main des documens nombreux, d’une origine toute populaire, où sont exposés méthodiquement, mais simplement, par cent auteurs improvisés, les plaintes, les aspirations et les plans des travailleurs manuels. Ce sont les rapports des délégués ouvriers aux grandes expositions internationales qui nous fournissent ces sources nombreuses et authentiques d’information. Nous avons déjà trois collections de ce genre : celle des délégués à Londres en 1862, celle des délégués à Paris en 1867 et celle des délégués à Vienne en 1873. Cette dernière vient de paraître ; elle est la plus volumineuse : par des raisons que nous expliquerons, elle est aussi la plus sincère. Il en est des délégations ouvrières aux expositions comme de toutes les institutions naissantes, elles se développent et s’enhardissent ; timides et circonscrites à leurs débuts, elles deviennent bientôt plus audacieuses et plus vastes. A la suite de l’exposition de 1862, il n’avait été publié que cinquante-deux rapports, la plupart fort courts et tous ensemble ne formant qu’un gros volume ; le ton y était plein de circonspection, de bienveillance même et de flatterie pour le pouvoir existant. En 1867, les rapports sont plus nombreux, ils remplissent deux gros volumes in-quarto ; le fond est plus riche, la forme plus indépendante et plus vive. L’exposition de 1873, nous a valu une centaine de rapports de délégués ; beaucoup de ces documens sont très étendus ; ; réunis, ils forment 4,000 ou 6,000 pages. On devait les faire précéder d’un rapport d’ensemble qui eût résumé les griefs et les demandes de la population ouvrière française : cette œuvre, qui eût été curieuse et instructive, n’a pas encore paru, et l’on ne sait si elle paraîtra. Est-ce la longueur du travail, est-ce la prudence politique qui empêche la rédaction ou la publication de ce mémoire général ? Faute de cet abrégé commode, nous avons dû lire les quelques milliers de pages des rapports spéciaux ; nous ne regrettons pas d’avoir entrepris cette tâche monotone, elle nous a permis de nous rendre compte des pensées exactes et des : désirs précis de ce monde du travail qu’il nous est si difficile de pénétrer.


I

Il est nécessaire d’indiquer d’abord l’origine des délégations ouvrières aux grandes expositions. Certes rien n’est plus naturel et plus légitime que de faire visiter par des ouvriers, d’élite ces sortes v de musées industriels. Ils sont plus aptes que personne à saisir d’un