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précautions s’accomplit cette première mission des ouvriers français à l’étranger. La commission ouvrière avait pris soin de donner aux délégués des instructions détaillées qui formaient une sorte de mandat. La mission des délégués ouvriers devait être essentiellement technique et non pas sociale. Il ne s’agit en effet dans ces instructions que d’une comparaison entre les produits français et les produits étrangers, d’une enquête sur la provenance des matières premières, sur le prix de revient, les salaires et les prix de vente, — de la recherche des moyens de supporter la concurrence étrangère, — de la visite des ateliers anglais et de l’examen des outils ou des procédés de fabrication ; enfin les délégués étaient invités à signaler les noms des ouvriers qui auraient exécuté les travaux exposés les plus remarquables. Les rapports furent adressés au président de la commission impériale et publiés par ses soins ; ils sont au nombre de 53 et n’ont qu’une médiocre étendue : ils sont écrits d’ordinaire avec beaucoup de modération, ils traitent principalement les questions techniques intéressant chaque métier. Ce n’est qu’en quelques lignes, tout au plus en quelques pages qu’ils demandent ou proposent des réformes sociales, notamment la formation de chambres syndicales ouvrières et de sociétés coopératives, la concession du droit de réunion.

Le public éclairé lut les rapports des délégués ouvriers à l’exposition de 1862 ; il s’y intéressa, et fut heureusement surpris de la simplicité et de la modération de leur langage. Les réformes demandées n’avaient rien de bien effrayant, on pouvait en contester la possibilité, l’opportunité ou l’efficacité ; mais, rapprochées des déclamations et des utopies de 1848, elles indiquaient une sorte d’apaisement et de retour au bon sens. Aussi, lorsque l’exposition de 1867 s’organisa, la commission impériale n’attendit pas que les ouvriers fissent une démarche, elle les prévint. On institua une commission d’encouragement « pour les études à entreprendre par les ouvriers, contre-maîtres et coopérateurs divers de l’agriculture et de l’industrie. » Le ministre d’état en désigna les membres. Cette commission devait provoquer les souscriptions, centraliser et administrer les fonds qui lui seraient adressés de Paris et des départemens, en vue de faciliter les visites des ouvriers à l’exposition. Elle devait en outre se charger de la publication des rapports qui seraient faits par les délégués des corps de métiers. De 1862 à 1867, les ouvriers avaient déjà acquis davantage la conscience de leur importance et le goût de l’indépendance : il y eut, paraît-il, de leur part au début quelques hésitations ; ils craignaient de n’être pas assez maîtres de leurs allures. On les rassura ; on leur permit de se réunir et de se concerter pour élire des délégués, 114 corps de métiers prirent part aux élections, et nommèrent 354 représentans. Les ouvriers ainsi choisis reçurent de la commission