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un autre, sont très humbles devant leurs patrons ; les ouvriers travaillant dans les premières catégories ne fréquentent pas ceux des dernières, si bien, dit le délégué des tailleurs, que « la nation est divisée en une foule de petites castes se superposant les unes aux autres, et faisant supporter et au-delà à celles qui sont au-dessous toutes les misères et toutes les humiliations qu’elles reçoivent de celles qui sont au-dessus. » Il ne paraît pas qu’aucun délégué ait eu la moindre envie de changer son sort contre celui de ses confrères de Vienne.

Personne ne saurait s’étonner que les ouvriers se plaignent de la médiocrité de leurs salaires. Sur ce point, il y a parmi eux un accord unanime : les corps d’état où la journée est payée 7, 8 ou 9 francs font entendre les mêmes plaintes que ceux où elle n’est encore rétribuée que 4 ou 5 francs. Presque tous les rapports reconnaissent que, soit depuis dix ans, soit depuis vingt, le prix de la main-d’œuvre a haussé dans une proportion moyenne qui serait de 25 pour 100 environ ; mais ils allèguent que le prix des vivres et le loyer se sont élevés, dans le même espace de temps, de 80 pour 100. Cette assertion est sans doute exagérée, si l’on réfléchit que l’un des principaux objets de l’alimentation populaire, le pain, est resté au même prix qu’autrefois. Pour être complètement juste, il faudrait dire encore que le prix du vêtement a incontestablement baissé depuis quinze ans, comme en font foi les dépositions des chefs des grandes maisons de confection à l’enquête de 1870. Par exception, quelques corps d’état affirment que leurs salaires depuis vingt ans sont restés absolument stationnaires, ou même ont fléchi dans une assez forte proportion : les graveurs sont dans le premier cas, les opticiens dans le second.

L’une des parties les plus importantes du programme des délégués, c’étaient les moyens d’améliorer la destinée de la population ouvrière. Tous ou presque tous se sont particulièrement préoccupés de cet ordre de recherches. En général, les réponses à cette partie du questionnaire sont très affirmatives et très catégoriques ; quelques-uns hésitent, ont des doutes sur les résultats prochains de réformes radicales : le délégué des graveurs est dans ce cas ; mais il appartient à une profession qui se rapproche des ans. La plupart de ses collègues n’ont point cette perspicacité ou cette irrésolution d’esprit. L’un d’eux, le délégué des mécaniciens, dont le rapport a plus de cent soixante-dix pages, dit hardiment : « Dans la limite du possible, nous apportons une solution à toutes les questions qui nous ont été posées. » Voilà certes quelqu’un qui a de la décision et de la confiance en ses lumières. Un des embarras qu’éprouve le lecteur en parcourant les innombrables pages de ces rapports, c’est que,