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perspicacité et d’esprit d’invention en signalant le scandale public qui s’étale chaque jour devant nos yeux, et qui consiste à confier à de grands jeunes gens dans nos magasins de nouveautés la vente des soieries et des autres étoffes riches : critique banale, car, outre que ces fonctions qu’on voudrait restituer aux femmes n’occupent pas un nombreux personnel, elles sont plus fatigantes, exigent plus de force physique qu’on ne le pense, et elles sont aussi incompatibles que le travail en atelier avec la vie de famille, les heures de présence étant généralement aussi longues dans les magasins que dans les fabriques.

Une des questions les plus souvent traitées dans les rapports des délégués, c’est celle de l’apprentissage ; sauf la constitution des sociétés syndicales ouvrières et l’organisation de sociétés coopératives, il n’est pas de sujet qu’ils étudient avec plus d’insistance. Tous les rapports s’en occupent, à quelques exceptions près. Dans leurs sentimens et leurs idées sur ce point, les délégués sont tantôt dirigés par l’intérêt personnel, tantôt par l’intérêt général. Ils confondent volontiers l’un avec l’autre. Ils regardent le mode actuel d’apprentissage comme une école mauvaise abusive, qui demande trop de temps et donne trop peu de connaissances à l’apprenti ; ils le considèrent en outre, et ce n’est pas là leur moindre grief, comme une sorte d’institution qui est destinée à faire une concurrence à bas prix au travail des adultes. Que certains patrons occupent quatre ou cinq apprentis quand un ou deux seraient suffisans, qu’ils prolongent pendant cinq ou six années la durée de cette sorte de stage, quand la moitié de ce temps pourrait donner une ample connaissance du métier, qu’ils obtiennent ainsi du travail soit tout à fait gratuit, soit à vil prix, nombre de délégués l’affirment ; ces abus sont trop naturels pour que nous puissions douter qu’ils ne se présentent parfois. Le patron a autant d’intérêt à exagérer le nombre de ses apprentis que l’ouvrier à le réduire. Même quand l’apprentissage serait loyalement pratiqué, plus il y a d’ouvriers dans une profession, plus l’offre de bras est considérable par rapport à la demande, et plus les salaires ont de chances de baisse ou du moins de stagnation. Il est vrai qu’à la longue le nombre des apprentis finit toujours par se régler sur le taux des salaires, les professions les moins rémunérées finissant par ne plus trouver de recrues. Que les ouvriers se plaignent du nombre parfois excessif des apprentis, nous le comprenons ; qu’ils veuillent limiter ce nombre aux exigences de la profession, quoique la mesure exacte soit singulièrement difficile à trouver, nous l’excusons. Malheureusement ils émettent parfois des prétentions qui sont injustifiables ; quelques délégués semblent considérer un corps d’état comme étant la propriété collective et exclusive du personnel qui le compose. Un