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exigé en fait dans beaucoup de circonstances. Si l’on voulait chercher quel est le caractère qui distingue les ouvriers des autres parties de la nation, on serait à coup sûr embarrassé : est-ce le travail manuel ? mais beaucoup de professions, réputées plus ou moins libérales, comportent un certain travail manuel. Est-ce le salaire ? mais depuis que le salaire à la tâche est devenu prédominant, les ouvriers ne se séparent plus par ce fait des professions libérales, qui presque toutes sont payées à la tâche. Le trait qui malheureusement distingue en général l’ouvrier, c’est l’absence d’épargne : ce que l’on est convenu d’appeler prolétariat, c’est cette classe d’hommes qui n’a pas d’épargnes et qui n’est pas assurée du travail du lendemain. Cette seule définition, dont on ne peut contester l’exactitude, indique quelle est l’une des obligations morales de ceux qui emploient les ouvriers : c’est de ne pas leur faire attendre le paiement du salaire. Le crédit en effet est pour eux beaucoup plus cher que pour les patrons ; on peut dire que la nécessité ou l’habitude de faire des achats qu’ils ne paient pas comptant est l’une des principales causes des difficultés et des embarras, parfois inextricables, de la vie de l’ouvrier. Dans un très grand nombre de corps d’état, la paie se fait tous les mois, d’autres fois tous les quinze jours, rarement toutes les semaines. Les rapports des délégués s’élèvent avec énergie contre cette coutume et réclament la paie hebdomadaire, qui est de règle absolue, disent-ils, en Angleterre et en Autriche. Ce vœu est non-seulement naturel, mais légitime : la paie mensuelle surtout est évidemment abusive. On objecte que le travail à la tâche entraîne souvent une comptabilité compliquée, et qu’il faut que plusieurs unités de travail soient faites dans l’intervalle d’une paie à l’autre ; mais on pourrait donner tous les huit jours, si ce n’est le salaire définitif, du moins un à-compte. Les délégués se plaignent aussi quelquefois que le paiement de leurs salaires leur fasse perdre plusieurs heures. Dans de grands ateliers, on ne peut sans doute payer 500 ou 1,000 ouvriers en quelques instans ; mais des considérations morales et sociales doivent porter les patrons à s’ingénier pour éviter aux travailleurs manuels des pertes de temps qui restreignent leurs rares heures de loisirs et de vie de famille.

On comprend encore que les ouvriers de la petite industrie s’élèvent contre ce double fléau, la morte-saison et les heures supplémentaires, tâche accablante pendant une partie de l’année, manque presque complet d’ouvrage pendant une autre partie. Certes il sera toujours difficile, on peut même dire impossible, de répartir également le travail sur toutes les saisons et sur toutes les semaines. Il y aura toujours des périodes d’activité et des périodes de langueur qui se présenteront avec une certaine régularité. C’est dans la petite industrie surtout que ces perturbations reviennent avec le plus