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facultés et devient avant l’heure impropre au travail sans compensation. D’ailleurs où sera le contrôle de la participation réellement juste du travailleur dans les bénéfices ? L’ouvrier a-t-il le droit de contraindre le patron à lui faire connaître la part de bénéfice qu’il s’attribue ? »

C’est là le langage d’un intransigeant qui se défie des concessions des politiques et qui s’attache à la logique inexorable. Il a plusieurs confrères qui partagent ses idées. Le délégué d’Angoulême pour les divers métiers d’art et d’utilité relève avec amertume des paroles qu’aurait prononcées à l’assemblée nationale M. Benoît d’Azy en faveur des institutions de caisses de retraite, qui, moyennant une retenue de 20, 30 ou 50 francs par an, peuvent procurer à l’ouvrier âgé de cinquante-cinq ans une pension viagère de 500 à 600 francs. Ces hommes « ne se doutent pas le moins du monde, dit ce farouche citoyen, que dans son for intérieur l’ouvrier souffre de leurs aumônes, et qu’il préférerait cent fois le prix de son travail à ces sortes de bienfaits qui blessent sa fierté et peuvent le rendre servile. » Pour le délégué d’Angoulême, les caisses de retraite sont donc une humiliation ; pour le délégué parisien des ouvriers en voitures, elles sont une duperie, un acte de machiavélisme. Celui-ci s’en prend surtout aux compagnies de chemins de fer. « Par ce moyen, dit-il, elles parviennent à embaucher des ouvriers et à leur faire accepter les prix dérisoires de main-d’œuvre de leurs tarifs. Aussi, dès qu’un ouvrier a travaillé quinze ou vingt ans dans les ateliers d’une compagnie, celle-ci met-elle le plus grand empressement à le remercier de ses services, afin de ne pas avoir à lui assurer une pension, et oublie-t-elle facilement de lui rembourser les retenues faites pour former le capital de cette pension. Dans les maisons ou les compagnies qui possèdent des caisses de secours alimentées au moyen de retenues, l’ouvrier ne peut jamais en connaître les ressources, parce que le patron en est habituellement le gérant, à moins que ce ne soit le premier commis. » Ainsi les institutions philanthropiques les plus utiles et les plus recommandables ne satisfont pas toutes les aspirations des délégués : ce n’est certes pas une raison pour renoncer aux caisses de retraite et aux encouragemens divers que l’on a groupés sous le titre un peu vague de participation aux bénéfices. A côté de ces natures implacables, impatientes, qui veulent obtenir l’objet entier de leurs désirs, qui dédaignent tous les succès partiels et tous les progrès lents, il y en a d’autres qui sont plus souples et plus traitables, qui se félicitent de toute amélioration dans leur destinée, qui acceptent avec contentement, même avec reconnaissance, les adoucissemens graduels que leur accorde l’initiative de la société ou des patrons. Ce serait plus qu’une injustice, ce serait une erreur, de ne tenir