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sein de sa profession. Constituée en janvier 1869, la chambre syndicale des marbriers débuta par une grève dont elle demande aujourd’hui pardon au ciel et aux hommes ; elle dut beaucoup emprunter pour la soutenir ; il lui resta, après la victoire, un solde inemployé de ses emprunts ; elle s’en servit pour organiser un atelier de chômage qui fonctionna près de deux mois. Cet atelier fut ensuite cédé à la société ouvrière de crédit mutuel du même corps d’état, qui disposait d’assez de fonds pour créer une société coopérative de production. Celle-ci fut constituée par acte notarié le 13 mars 1870 sous le titre de l’Union ; elle se rendit acquéreur pour 6,000 francs du matériel et des marchandises de l’atelier de chômage ; on nous dit que cette association coopérative se soutient, qu’elle a obtenu une médaille à l’exposition de Lyon en 1872. On a là pour un corps d’état l’exemple de cette évolution que les ouvriers espèrent généraliser. Trois sociétés naissent successivement, distinctes, mais alliées : la chambre syndicale, la société de crédit mutuel ou la société de consommation, enfin, comme couronnement, l’association coopérative de production. La plupart des délégués reconnaissent que, dès que tous les corps d’état se seront complètement organisés en associations coopératives de production, la chambre syndicale, qui est un instrument transitoire de progrès, aura fait son temps et devra disparaître. S’il en est ainsi, il n’est pas probable que notre génération voit la fin des chambres syndicales.

Ce n’est pas assez pour les ouvriers de constituer chaque corps d’état en association syndicale ; ils ont des vues plus larges et veulent former une fédération générale de toutes ces petites sociétés particulières. Ils invoquent l’exemple des patrons, qui ont à Paris plus de cent dix chambres syndicales et les ont réunies en deux grands groupes, dont l’un s’appelle l’Union nationale et l’autre le Comité central, ces deux groupes agissant d’ailleurs de concert dans toutes les questions importantes. Pourquoi les ouvriers ne s’organiseraient-ils pas comme les patrons ? disent à l’envi leurs délégués. Cependant l’autorité le leur a interdit. Ils avaient fondé un « cercle de l’union syndicale ouvrière ; » il paraît que l’administration, qui ne se souciait pas de cet essai fédératif, a suspendu les réunions des délégués syndicaux. Il ne semble pas au contraire qu’une société de crédit mutuel, instituée par toutes les chambres syndicales pour développer les sociétés coopératives de consommation et de production, ait été l’objet des défiances gouvernementales. Les ouvriers auraient aussi voulu avoir un journal qui fût à eux, qui ne fût pas rédigé par des clubistes ou des demi-bourgeois ambitieux, qui traitât de préférence les questions que l’on appelle sociales et laissât de côté la politique quotidienne, soit intérieure, soit internationale. La plupart des délégués expriment un vœu pour la fondation de cet organe.