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divins, et, lorsqu’au mois de février de cette année le pape Pie IX a déclaré nulles et non avenues les lois ecclésiastiques votées par le parlement prussien, M. de Bismarck était tenu de savoir que c’était bien Dieu qui lui parlait ; mais M. de Bismarck a sa dogmatique particulière, et les anathèmes ne l’affectent que lorsqu’ils se présentent à lui un pistolet au poing.

Il est possible que M. Gladstone, comme le lui a reproché l’archevêque de Westminster, ait commis quelques erreurs en matière de droit canonique, ou qu’il n’ait pas spécifié suffisamment ce qu’il faut entendre par un décret ex cathedra, qu’il n’ait pas distingué assez nettement l’assistentia et l’inspiratio ; assurément il ne s’est pas trompé en avançant que le dernier concile n’a pas fait une œuvre de paix et qu’on peut lui imputer en partie l’état de crise confessionnelle où se trouvent aujourd’hui l’Allemagne et la Suisse. Il aurait du ajouter que cette crise aiguë est de nature à consterner les libéraux, qui ne voient pas ce que la liberté et la religion peuvent y gagner. Les gouvernemens ont le droit de se défendre, mais il est difficile de se défendre longtemps sans devenir agressif. On a pensé à Berlin qu’il serait dangereux pour la paix publique que les conducteurs spirituels d’un bon tiers des Prussiens se permissent de professer les principes de Boniface VIII, et devinssent les complices d’une conjuration contre l’indépendance de l’état. Le gouvernement s’est cru autorisé à demander quelques garanties au clergé et à ceux qui l’instruisent. Sa première résolution fut d’obliger les jeunes gens qui se destinent à la prêtrise à faire leurs études de théologie dans les facultés catholiques des universités, et de ne donner une cure et un traitement qu’à ceux qui auraient passé un examen satisfaisant de minimisme. Les violentes résistances qu’a rencontrées son projet lui ont fait perdre son sang-froid ; il est entré dans la voie des rigueurs et des maladresses, il a oublié l’axiome médical : in morbis chronicis tempus et patientia. Les libéraux ne sauraient approuver quelques-uns de ses procédés ; mais s’ils représentaient à M. de Bismarck qu’il est inutile de faire des lois ecclésiastiques, et qu’au lieu de se défendre contre Rome, il suffit de raisonner avec elle pour l’amener à un accord pacifique, il pourrait leur répondre qu’il n’est pas facile à la prudence humaine de converser avec la sagesse divine, qu’elles ne parlent pas la même langue, qu’elles ont peine à s’entendre, — et il pourrait citer le mot de Voltaire, « qu’il ne faut pas s’aviser de dire à un homme les défauts de sa maîtresse, ni à un plaideur le faible de sa cause, ni des raisons à un inspiré. »