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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



30 juin 1875.

Le malheur est comme le patriotisme, il a la vertu d’unir les cœurs, et il passe avant la politique. Tandis que s’agitent à Versailles toutes ces questions qui se traînent à travers des discussions sans fin et souvent sans profit, qui ne font que perpétuer ou raviver les divisions, le cœur national se remplit d’un attendrissement spontané pour ces malheureuses populations du midi, victimes d’un fléau exceptionnel par ses proportions, inattendu, foudroyant. Toulouse et toutes ces aimables villes de Castelsarrasin, de Moissac, d’Agen, dispersées sur la route de Bordeaux, dans une des plus fertiles vallées de la France entre le Tarn et la Garonne, Tarbes et la vallée de l’Adour, l’Ariège, le Gers, toutes ces régions des versans pyrénéens viennent d’être brusquement, effroyablement ravagées par les eaux. Les inondations ont cette fois dépassé toute mesure, comme si la France devait à de si courts intervalles épuiser toutes les épreuves, les fatalités de la nature après les fatalités de la guerre. Des quartiers populeux et industrieux effondrés à Toulouse, des villages détruits dans la campagne, des malheureux défendant leur maison jusqu’à la dernière minute et n’ayant que le temps de se sauver sur la cime des arbres, les moissons emportées, les eaux torrentielles entraînant les ponts rompus, les débris de toute sorte, les animaux surpris, des cris de détresse s’exhalant de toute une contrée, des morts sans nombre et des ruines immenses, c’est un spectacle incomparable de terreur et de pitié ! Quelques jours encore, ces populations infortunées auraient eu du moins recueilli les fruits de la terre ; en un instant, elles voient, mornes et désolées, le travail d’une année perdu, la misère au foyer dévasté. Elles sont frappées au moment de mettre la main sur le prix de leurs peines, sur ce qui devait les faire vivre, à la veille de toutes les récoltes.