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escorte : ils vivent sur le voyageur ; si vous ne les payez pas pour vous protéger, ils vous attendent au coin d’un bois. Avoir été chef de guerrilleros est d’ailleurs une bonne recommandation, un titre qu’on fait valoir pour obtenir quelque haut emploi civil ou militaire ; plus d’un gouverneur d’état se glorifie, comme celui de Colima, d’un pareil passé. La population est habituée de longue main aux « incidens » qui attendent les voyageurs sur les routes. Parle-t-on d’un assassinat, les habitans se contentent de dire, en haussant les épaules : Pobrecito, que disgracia ! (le pauvre homme, quel malheur !) et laissent tomber la conversation. Vous vous indignez : « A quoi sert d’en parler, vous répondent-ils ; les autorités ne s’en mêlent pas, que voulez-vous qu’on y fasse ? »

A l’époque du voyage de M. Geiger, on jouissait depuis près d’un an d’une tranquillité relative ; mais la population est tellement accoutumée aux luttes intestines, qu’une courte trêve ne fait qu’inspirer la crainte de troubles prochains. Il suffirait cependant de quelques années d’une paix assurée pour décupler au moins le rapport de certaines provinces. On l’a dit plus d’une fois : il n’est presque pas de produit que le Mexique ne pût fournir aisément. Pour assurer sa prospérité ; il suffirait d’un gouvernement ferme, stable, avec une administration régulière et intègre, qui n’en fût pas sans cesse aux expédiens. Un seul exemple fera toucher du doigt l’irrégularité dont souffrent maintenant les transactions commerciales. Les tarifs de douane ont été tellement surhaussés que l’importation s’arrêterait forcément, si les propriétaires des navires n’avaient pas pris l’habitude de s’arranger avec les employés de la douane pour ne payer qu’une faible fraction des droits ; ils partagent la différence avec les douaniers. Les navires n’abordent que lorsque les deux parties sont tombées d’accord. Le trésor perd ainsi chaque année quelques millions, et on pense si cette fraude ouvertement pratiquée démoralise les services publics.

Le livre de M. Geiger renferme des pages instructives sur les vices du régime politique et financier de la fédération mexicaine. Il faut seulement regretter l’esprit exclusif avec lequel il juge parfois les rapports de l’état et de l’église en accusant assez gratuitement le clergé catholique d’intrigues et de sourdes menées. Au mois de décembre 1873, les « lois de réforme » de Juarez ont été définitivement introduites dans la constitution, et elles sont assez dures pour contenter ceux même qui attribuent l’intervention de 1861 à des influences cléricales.


Le directeur-gérant, G. BULOZ.