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sont d’antiques traditions que le passé a léguées au présent. Il est facile de les observer à l’égard d’une foule obéissante et résignée, qui, loin de songer à contester le principe de l’autorité, n’y voit que l’émanation d’une puissance supérieure et nécessaire ; bienfaisante ou malfaisante, libérale ou oppressive, elle demeure toujours incontestable comme l’empire d’un père sur ses enfans. C’est à ce titre de père spirituel que l’empereur offrait ses prières pour le bonheur du peuple, faisait des distributions de riz, consacrait des temples, ouvrait des routes et des canaux. D’ailleurs le souverain n’exerçait pas le pouvoir lui-même ; il le délégua de bonne heure à un kwambaku ou premier ministre, qui seul signait les décrets, A l’heure qu’il est, c’est encore l’empereur qui parle dans les actes publics, et c’est le premier ministre qui signe. Les grands dignitaires ne sont que les interprètes de la volonté mystérieuse d’un oracle muet. De là une forme particulière de la responsabilité ministérielle assez digne de remarque. Veut-on exclure un ministre, veut-on retirer un décret impopulaire, on déclare que le ministre a mal compris et mal rendu la pensée du monarque. Comme le prince rebelle et l’assassin sont accusés d’avoir troublé le sommeil auguste de leur souverain, sa volonté est le critérium infaillible, universel, du bien et du mal.

Le mikado était, comme il l’est encore aujourd’hui, propriétaire éminent de tout le territoire de l’empire ; mais ce droit nominal ne s’étendait avec efficacité que sur les Gokinaï ou cinq provinces qui entouraient Kioto et dont il touchait les impôts sous forme de rentes en nature. La cour était bien loin de vivre dans le faste ; les constructions de cette époque qui subsistent encore, notamment le palais de Kioto, n’attestent pas une grande splendeur. A part les vêtemens, les parures, les meubles précieux, la vie antique était simple au Japon, et le budget restreint du prince lui permettait à peine d’entretenir une cour embarrassante et nombreuse. Aussi beaucoup de kngés en étaient-ils réduits à gagner modestement leur vie en se faisant maîtres d’escrime, de musique, ou professeurs de cuisine, de poésie et de dessin, occupations que beaucoup conservent aujourd’hui malgré la restauration du pouvoir impérial, qui ne les a pas tous enrichis. Il se forma ainsi dans la capitale un centre de lumières, une société cultivée et raffinée, où se développèrent les belles-lettres, les sciences, les arts importés de la Chine. Ce fut non-seulement la suprématie religieuse, mais la supériorité intellectuelle, qui devint le privilège de la noblesse de cour, et cela ne servit qu’à augmenter son dédain pour l’ignorance de la caste militaire et à l’isoler des clans qui devaient la réduire bientôt au néant.

On a vu toutes les causes de dissolution qui menaçaient l’état ; il en reste une dernière à signaler. « Vous ne pouvez, dit Confucius,